The construction of collective
identities according to Central Asian professional statutes (risāla) When
one considers the origin of identities in Central Asia, one is led to examining
the basis of the different groups constitution. It is a known fact that in the
pre-Soviet era the original source of identities constitution in the region was
not ethnicity but rather the locality, tribal identification and line of work. Numerous
'profession charters' (risāla-yi kasb in Persian, kasb risālasi in Eastern Turkish, risāla) provide an amount of data related to mythology and moral
standards of some professions in the region. The construction of a collective
identity in pre-Soviet Central Asia shows an obvious parallel with the
construction of identities according to real or imagined lineages. The social
cohesion of a professional group is, at least ideally, based on an imagined
lineages identification with ancestral masters for each range of crafts. Origin
of crafts and professional activities account is to be found in the risāla as a divine request to a prophet, a mystic
or another figure venerated since time immemorial. Indeed, craftsmen of the
same profession describe themselves as hampīr , "[someone] within the same pīr
" , in reference to the common holy ancestral figure (pīr). It is clear that the kasb (profession or craft)concept in
the sense of production economic activity and social status associated with
this same activity does not carry the same implication of all meanings of 'work' in the broadest sense of the word. In
pre-Soviet Central Asia three occupational activities were not clearly severed
: gainful occupation, repairing and maintaining crafts tools and spiritual
services. There is a growing trend of two forms of work : performed by an
individual or performed by a community of which the famous hašar. However this division remains artificial for in rural
regions craftsmen also cultivated their land, raised cattle, at the same time
as their usual professional activities. The use of kasb in Central Asia refers to gainful
occupations. Weaving provides an illustrative case. The work of a trained person to manufacture of cloth, whether
it is an order or meant to be sold on the market, is a kasb. On the other hand, the same work solely for domestic purposes is not.
Risāla is the only original craftsmanship text provided to us. A written narrative in
vernacular languages (Turkī, Uzbek, Persian-Tajik, Uighur, Pashto)
interspersed with prayers in Arabic language which traces the ground of each
professional group. Unifying text setting out a spirit of brotherhood between
members of the same corporate work group, the risāla reaches every man with a
specific work activity kasb acknowledged by his pīr, master and patron saint. Thus the
members with a narrative on imagined origin of technical tradition and a moral
code of references at disposal address to one another the title of hampīr. While taking part in the rituals to common patron saints
was limited to independent master craftsmen, workshops owners, and those with
financial means for festivities, the risāla
addresses all members of the work group whether
they are masters, brethren or apprentices. The risāla three key elements are the
religious legitimization of the work, the transfer of spiritual knowledge and
the emergence of identity affiliation. To ignore the founding pïr and to refuse to comply with the risāla guidelines makes the exercise and the product of
the work activity contaminated, illegitimate in the religious sense of the word
ḥarām. The risāla explicitly define which are
matters of lawfulness (ḥalāl) and unlawfulness (ḥarām) in the craftsmen world. They claim to be used as religious
reference text in which are stated all
the needs of the craftsmen in order to carry out their profession in a noble,
honest way in accordance with mercy rules, in other words legitimately.
La construction des identités
collectives d’après les chartes des corps de métier (risāla) en Asie
centrale
Dès lors qu’on
s’intéresse à l’origine des identités en Asie centrale, on est amené à examiner
la base sur laquelle les différents groupes sont constitués. C’est un fait bien
établi qu’à l’époque pré-soviétique, la source première de constitution des
identités collectives dans la région n’était pas l’ethnicité, mais plutôt la
localité, l’appartenance “tribale” ou la profession. Les nombreuses “chartes de
corps de métier” (risāla-yi kasb en persan, kasb risālasi en turc oriental et, de manière abrégée
dans ce qui suit, risāla) dont nous disposons fournissent pourtant quantité de
données relatives à la mythologie et aux normes morales de certains corps de
métier de la région. La formation d’une identité professionnelle collective
dans l’Asie centrale pré-soviétique présente un parallèle évident avec la
formation des identités basées sur des descendances réelles ou imaginaires. La
cohésion d’un groupe professionnel est fondée, au moins idéalement, sur la
revendication d’une appartenance à une lignée imaginaire de maîtres ancestraux
pour chaque corps de métier. L’origine des métiers et des activités
professionnelles est expliquée dans lesrisāla par une demande divine faite à un
prophète, une figure mystique ou un autre personnage vénéré depuis des temps
immémoriaux. En effet, les artisans d’un même corps de métier se désignaient
sous l’appellation dehampīr, littéralement “[personne] affiliée à un même pīr”, se référant ainsi à figure sainte ancestrale (pīr) commune. Il est clair que le concept de kasb “profession ou métier”, au sens
d’activité économique de production et de statut social associé à cette
activité, ne recouvre pas exactement toutes les significations du terme
“travail”, au sens large du terme. Dans l’Asie centrale pré-soviétique, il
existait trois zones d’activités qui n’étaient pas clairement séparées :
les occupations rémunératrices, l’entretien des instruments de travail et les
services spirituels. On observe deux formes de travail : les activités
exécutées par l’individu et celles effectuées par la communauté, dont l’exemple
le plus connu est le hašar. Cette division est néanmoins artificielle car, dans les
régions rurales par exemple, les artisans cultivaient la terre, élevaient du
bétail ou travaillaient comme journaliers en même temps qu’ils se livraient à
leur métier. Pour désigner les occupations rémunératrices dans les langues
d’Asie centrale, on utilise surtout le mot kasb. Le tissage en offre une belle illustration.
L’activité d’une personne formée à la fabrication des tissus, qu’elle soit
faite sur commande ou destinée à la vente sur le marché, est considérée comme
un kasb. En revanche, la même activité exercée exclusivement pour
satisfaire des besoins domestiques ne l’est pas. La risāla est le seul type de texte original
issu du milieu artisanal lui-même dont nous disposions. C’est un récit
écrit en langue vernaculaire (turkī, ouzbek, persan-tadjik, ouïgour, pachto),
entrecoupé de prières en arabe, qui retrace le fondement d’un groupe
professionnel. Texte unificateur, il crée un esprit de fraternité entre les
membres d’une même corporation. Le texte des risāla s’adresse
à tout homme exerçant un kasb précis et ayant été reconnu par son pīr, maître et saint patron.
Le respect porté à une lignée imaginaire ascendante de maîtres-ancêtres
commémorés et vénérés lors d’occasions rituelles et immortalisés par la risāla qui
consolide l’union d’un tel groupe. Les membres, qui disposent ainsi d’un récit
sur l’origine imaginaire de la tradition technique et d’un code moral de
référence, s’adressent mutuellement le titre de hampīr. Alors que la participation aux rituels dédiés aux saints
patrons était limitée aux maîtres artisans indépendants, propriétaires de leurs
ateliers et ayant les moyens nécessaires pour financer des festivités chacun à
leur tour, la risāla s’adresse à tous les membres de la
communauté professionnelle en question, qu’ils soient maîtres, compagnons ou
apprentis. Les trois éléments-clés de la risāla sont la légitimation religieuse de
l’activité professionnelle, le transfert du savoir spirituel et l’évocation
d’une affiliation identitaire. Ignorer
le pīr fondateur de sa profession et refuser
de se conformer aux directives de la risāla rend l’exercice et le produit de
l’activité professionnelle souillée, illégitime au sens religieux du terme,ḥarām. Les risāla définissent explicitement ce qui
relève du licite (ḥalāl) et de l’illicite (ḥarām) dans le monde des artisans. Elles affichent une prétention
à servir de texte religieux de référence, où est énoncé tout ce dont un artisan
a besoin pour exercer son métier de manière noble, honnête et en accord avec
les règles de piété, en un mot, légitime.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire