7/29/2015

Kuzey Kafkasya - yaşal plüralizm adat, Şeriat - Imparatorluk, Sovyet ve Sovyet sonrası Eyalet hukuku - arabuluculuk süreci kaybolan - Sovyet adli kurumları egemenlik

The formative mechanism of legal pluralism in Northern Caucasus (Kabardino-Balkaria and Northern Ossetia) 1- The research focuses on the specific development of legal ideology and legal practice in two republics of Northern Caucasus which have a mixed– muslim and christian – population. It analyzes traditional – including legal – social institutions based on customary law and religion. Specific attention is devoted to the coexistence of adat, sharia and the so-called official or State law as well as to the legal mediation of conflicts. Northern Caucasus is a specific region of the Russian Federation. The various ethnic groups who live here and have clear ethnic and cultural traditions, require the development of a specific policy on the part of the Russian Center since at least two centuries. In the 1990s Northern Caucasus social, political and economic life has been tremendously affected that has certainly influenced the momentum of the scope of the legal framework in this region In this research we have concentrated on the specificity of the development of the juridical ideology and the legal practice in the two republics of Northern Caucasus: Kabardino-Balkaria and North Ossetia-Alania, that has allowed the study of legal pluralism ideas in this region. The concept of legal pluralism refers to a legal situation where two or more legal systems co-exist into a single social field. In the case of these two societies, there is a striking similarity between the numerous social institutions – including the legal system – founded on the customary law adat, the differences related to religious affiliation in the regions (Kabardino people are Muslims and Ossetians are Muslims and Orthodox, yet the whole population keeping to some extent traditional beliefs) introduced essential changes in legal practice and conscious and keep doing so. For the most part, the process of development of a contemporary juridical ideology is faced by the influence of the following factors:
- the people's social and economic history who settled in one or another republic in Northern Caucasus;
- the history of local law;
- the nature of the policy brought by the Imperial Russian, Soviet and post-Soviet administration in Nothern Caucasus towards local law;
- the specific political and socio-economic conditions in Northern Caucasus in the years 1990s
- the social organization of the Caucasian communities and the place of customary law and Sharia in the communitarian values system.
In Kabardino, during the legal reform from the second half of the 19th century onto the beginning of the 20th century, there has been the creation of a legal pluralism system consisting of a duality of customary law and the sharia, that underwent modifications with the Russian administration and became a duality of State law and local law made of adat and sharia. One the one side, the Russian administration legalized adat and Sharia, on the other side it created an Oral Court of the mountains working as a transitional judicial organ with implementation of local law and the Russian legislation standards. Up to the 20th century, actions in civil, family and succession law were regulated by the religious law when offences against the person and the property were regulated by the adat local law. A new juridical ideology emerged supporting the development of the Sharia legal procedure to replace the adat mediation procedure. The officials of the Russian administration and the “Shariatists” pan-Islamists participated to the development of this orientation. Both share a tendency to restrict the sphere of application of the adat law already significantly weakened. One of the restriction process of the adat in the Adygeya community by the Russian officials was to refuse the 'police' duties, in other words to help execute criminal law decisions of the traditional court of conciliators and mediators. The supporters in favor of the adat may have been keen on this help to the extent that at that time, community sanctions did not exercise an important pressure on the parties involved in conflicts. Another process was to create a far-reaching network of Sharia courts on various level, village, region, district.
The Sharia courts created in the 1920s were ultimately a variant of Russian courts that had nothing in common with Sharia law. The legal existence of adat and Sharia ended in 1925 when all forms of traditional procedures were prohibited. A second period of legal reform with as guiding concept an attempt to set up new judicial Soviet institutions by means of elements of adat and Sharia procedures, as for example, courts and arbitration panels, conciliation chambers etc. During this period the Russian courts started to function and enforce the Soviet penal and civil code. Those courts and other Soviet organs did not easily adapt in the society of Kabardino people, they refused the Soviet legal-judicial institutions. Irina L. Babitch


Le mécanisme de formation du pluralisme juridique dans le Caucase du Nord (Kabardino-Balkarie et Ossétie du Nord) 1- La recherche est consacrée à la spécificité des processus de formation de l’idéologie juridique et de la pratique juridique dans deux républiques du Nord Caucase ayant une population mixte – musulmane et chrétienne. Elle analyse les institutions sociales traditionnelles – y compris juridiques – fondées sur le droit coutumier et sur la religion. L’attention particulière est attirée sur la coexistence de l’adat, la charia et de droit dit officiel, droit d’Etat, aussi bien qu’à la médiation juridique des conflits. Le Caucase du Nord est une région particulière de la Fédération de Russie. Les différentes ethnies qui y vivent et ont des traditions ethniques clairement exprimées exigent le développement d’une politique spécifique de la part du Centre russe notamment dans le domaine du droit. C’est un problème qui se pose au Centre russe depuis deux siècles au moins. Mais les années 1990 ont été critiques pour la vie sociale, économique et politique du Nord Causase, ce qui n’a pas manqué de se refléter sur la dynamique du champ juridique de cette région. Dans la recherche que nous avons menée, nous nous sommes penchée sur la spécificité des processus de formation de l’idéologie juridique et de la pratique juridique dans deux républiques du Nord Caucase : la Kabardino-Balkarie et l’Ossétie-Alanie du Nord, ce qui nous a permis d’étudier la diffusion des idées du pluralisme dans cette région. La notion de pluralisme juridique est utilisée pour désigner une situation juridique dans laquelle coexistent deux systèmes juridiques ou davantage dans un seul et même champ social. Dans le cas des sociétés kabardinienne et ossète, il existe une ressemblance considérable entre leurs nombreuses institutions sociales traditionnelles – y compris juridiques – fondées sur le droit coutumier (en l’espèce l’adat), les différences liées à l’appartenance religieuse de leurs habitants (les Kabardiniens sont musulmans et les Ossètes pour partie musulmans et pour partie orthodoxes, l’ensemble de la population conservant une certaine mesure de paganisme) ont introduit des modifications essentielles dans la conscience juridique et dans la pratique juridique et continuent d’ailleurs à le faire. Dans l’ensemble, le processus de formation de l’idéologie juridique contemporaine et de la pratique juridique subissent dans le Nord Caucase l’influence des facteurs suivants :
- l’histoire socio-économique des peuples qui se sont installés dans telle ou telle république du Nord Caucase ;
- l’histoire du droit local (droit coutumier, ou adat et charia)
- le caractère de la politique menée par l’administration, qu’elle soit impériale, soviétique ou post-soviétique, dans le Caucase du Nord à l’égard du droit local ;
- les conditions socio-économiques et socio-politiques en présence dans les républiques du Nord Caucase au cours des années 1990 ;
- l’organisation sociale (communautaire des peuples du Nord Caucase et la place du droit coutumier et de la charia dans le système des valeurs communautaires.
En Kabardie, au cours de la réforme juridique qui s’est déroulée de la deuxième moitié du XIXe siècle au début du XXe siècle, l’on a assisté à la mise en place historique d’un polyjuridisme consistant en une dualité du droit coutumier et du droit de la charia qui devait se modifier sous l’administration russe en une dualité de la législation étatique et d’une législation locale formée de l’adat et de la charia. D’une part, l’administration russe avait légalisé l’adat et la charia, de l’autre, elle avait créé un Tribunal oral des Montagnes qui devait devenir un organe judiciaire de transition appliquant à la fois le droit local et les normes de la législation soviétique. Jusqu’au XXe siècle, les actions en matière civile et en matière familiale et successorale étaient régies essentiellement par le droit religieux cependant que les infractions pénales contre la personne et les biens étaient régies par les adat locaux. On assista à un processus de création d’une idéologie juridique soutenant le développement de la procédure judiciaire de la charia en remplacement de la procédure de médiation fondée sur l’adat. Prirent part à la formation de cette orientation à la fois les représentants de l’administration soviétique du Centre et ceux que l’on appelait alors les « chariatistes » (panislamistes). Les uns et les autres avaient en commun une tendance à limiter la sphère d’application d’un adat déjà considérablement affaibli même sans cela. L’un des procédés de limitation de l’adat dans la communauté adyghéenne fut notamment le refus de l’administration soviétique d’exercer des fonctions « de police » c’est-à-dire d’aider à l’exécution des décisions pénales du tribunal traditionnel (de médiateurs), ce à quoi auraient eu intérêt les partisans de l’adat dans la mesure où, à cette période, les sanctions communautaires n’exerçaient plus qu’une pression insignifiante sur les parties aux conflits. Un autre procédé consista à créer un réseau développé de tribunaux de charia à différents niveaux (village, région, district). Les tribunaux de charia créés dans les années 1920 n’étaient au fond que l’une des variantes des tribunaux soviétiques et n’avaient rien de commun avec la charia. La période d’existence légale de l’adat et de la charia prit fin en 1925 lorsque furent interdites toutes les formes de procédure judiciaire traditionnelle. Commença alors une deuxième étape de réforme juridique dont l’idée directrice se réduisait à une tentative de création de nouvelles institutions judiciaires soviétiques ayant recours à des éléments de la procédure de l’adat et de la charia comme, par exemple, les collèges administratifs, les tribunaux arbitraux, les chambres de conciliation etc. C’est au cours de cette période que commencèrent à fonctionner parallèlement les tribunaux populaires soviétiques qui appliquaient le Code pénal et le Code civil soviétiques. Ces tribunaux, de même que d’autres organes, s’acclimatèrent extrêmement mal dans la société et la conscience juridique kabardiniennes. Irina L. Babitch

http://droitcultures.revues.org/1120

7/27/2015

Sanat -1869 Sankt Peterburg, gösteri Verechtchaguine Türkistan - Büyük İmparatorluğu ve Irk (Rusya) gösteriş yapmak - Arkaik olarak Türkistan - egemenlik ve boyun eğme

The Turkestan of Verechtchaguine. 1869 the exhibition in Saint-Petersburg on artistic productions of the region (Vystavka proizvedenij kraja) : an incomplete, ambiguous and cruel picture of Turkestan. When Kaufmann pounced into the conquest of Turkestan, he was careful to attract and retain leading specialists in all disciplines, as Napoleon Bonaparte did in Egypt in the company of artists ans scientists. The painter Vassili V. Verechtchaguine (1842-1904) appeared to be one of the most enthusiastic accompanying persons particularly excited about the participation in 'real war'. Since august 1867 he joined Kaufman and bustled with many paintings onto an exhaustion that led him to withdrew to Paris during the winter 1868-1869 in order to develop related observations. Back to Saint-Petersburg he was concerned with the presentation of his 'Turkan' paintings and proposes to set up an exhibition on the subject. This initiative timing was impeccable, Kaufman was sharply criticized and in order to justify the rationale he will attempt to prove the profitability of Turkestan. As a matter of fact, in Russia this new colony is not being seen as a “precious diamond”. Contradictory speculations provoke raised voices on press reports. On the one hand, one emphasizes the strategic and political importance owing to Turkestan central geographic position and the economic potential this region might constitute both for Russian trade and industry; including a whole ideological discourse that places at the same location the Aryans proto-fatherland. On the other hand, one highlights the difficulties of colonization in this hostile environment, the lack of profitability of the possessions and the threat of a weakened Russia. In this event, according to Kaufman, both a valorisation of the Turkestan region and the development of a positive image should be conducted towards the public opinion of the Russian society. To this end, the painter's enthusiasm is being accompanied by Kaufman's personal relations and his slush fund. Without going into too much detailed program and with the sole support of featured objects from private collections, Verechtchaguine organizes in record time a free exhibition at the Ministry of National Assets Palace. The project builds upon 'craft creations' presentation, natural collections, archaeological collection, and military trophies vigorously celebrating the glory of the Russian army. However the room of the museum where the crowd is going to rush to is most of all that of Verechtchaguine's paintings. The public response reported by the press is mired in perplexity. One the one hand, the topos according to which the region must flaunt its wealth – every one has read the 'Arabian Nights' – constantly takes place at the forefront. On the other hand, the press is talking about the Central Asian unpretentious daily life, the objects poor quality and the disadvantages suffered by Eastern women. These value judgments flourish as part of highly fruitful discussions arose by Verechtchaguine's paintings. Linked to his travel notes that the painter publishes during the exhibition in Golos (The Voice) positioning himself as a perceptive observer of the events in situ, these paintings constitute in the public mind perfect copies of the new Russian colony. All Verechtchaguine's characters are seen as a specific character that must embody the Central Asian 'race'. Yet the specific physical appearances classification must show details about the matter on everyone's lips: how do these peoples behave towards Russians? The image of the indigenous from the sketched travel diary appears too positive. In contrast to the pencil sketches, the bigger paintings provide a nuance in the perception of the “indigenous society”. In scenes that are meant to be “fairly typical”, the character and role sharing leaves no ambiguity for Russian critics. Some paintings express a tangible barbarism like in Obožateli bači where old and rich Tajik men carried by carnal feelings, look intently at a naked young boy. The same assessment of moral decay turns up the commentators' civilized mind in the painting “Eaters of opium”. Those latent fears, disgust and paternalism feelings strengthen supported by other subjects. The press made a rather stark verdict towards both paintings associated with the last Bukhara war. Success (Udača) and Failure (Neudača) are perceived as complementing each other that adopt the point of view of the enemy and respectively relate the Turkan people victory and defeat. According to the press the paintings show which lifestyle of the conquerors (Russian) of Turkestan have been forced to lead in this land of 'cruel barbarism'. However, Verechtchaguine is trying to moderate this first impression telling that during this war in Central Asia both opponents don't respect each other. His observations go unnoticed and these images repeatedly published are seen as synonymous with a war waged against barbarians. 

The “well informed” public from Saint-Petersburg evinced keen interest for ethnic profiling paintings designed, in its opinion, on the basis of scientific criteria, based on a categorization of accurate taxonomic data like the shape of the cranium, hair, skin and eye iris color. Nevertheless, Verechtchaguine's image of Turkestan does not directly translate the constructive efforts made by the local governance the aim of which is to show the charm and economic potential of the new territory. Svetlana Gorshenina

Le Turkestan de Verechtchaguine. L'exposition de 1869 à Saint-Pétersbourg sur les productions de la région (Vystavka proizvedenij kraja) : une image incomplète, ambigüe et trop cruelle du Turkestan.

Lorsque Kaufmann se lance dans la conquête du Turkestan, il prend soin de s’adjoindre des spécialistes de toutes les disciplines, à l’exemple de Napoléon Bonaparte qui avait entrepris sa campagne d’Egypte en compagnie d’artistes et de savants. Le peintre Vassili V. Verechtchaguine (1842-1904) se présente comme l’un des accompagnateurs les plus enthousiastes qu’excite tout particulièrement l’idée de participer à une « vraie guerre ». Entré au service de Kaufmann dès le mois d’août 1867, le peintre s’active jusqu’à ce que, terrassé de fatigue, il se retire pendant l’hiver 1868-1869 à Paris où il va mettre ses observations au point. Soucieux de présenter ses œuvres « turkestanaises » après son retour à Saint-Pétersbourg, il propose alors à Kaufmann de mettre sur pied une exposition sur le sujet. Cette initiative tombe au bon moment, car Kaufmann subit alors de violentes critiques et, pour justifier sa raison d’être, cherche à prouver la rentabilité du Turkestan. En Russie, cette nouvelle colonie n’est en effet pas perçue comme un « diamant précieux ». Des spéculations contradictoires provoquent des éclats dans la presse et dans les hautes sphères politiques de la Russie. D’un côté, on souligne la haute importance stratégique et politique que revêt le Turkestan de par sa position centrale, avant d’évoquer le potentiel économique que cette région pourrait présenter tant pour le commerce que pour l’industrie russes, sans oublier tout un discours idéologique qui, au même endroit, situe la proto-patrie des Aryens. D’un autre côté, on souligne les difficultés d’une colonisation dans un climat hostile, la non-rentabilité des nouvelles possessions et la menace d’un affaiblissement de la Russie. Il faudrait alors, selon Kaufmann, effectuer auprès de l’opinion publique une valorisation de la colonie turkestanaise et construire une image positive au sein de la société russe. A cette fin, l’enthousiasme du peintre se conjugue aux relations personnelles de Kaufmann et à sa caisse noire. Sans élaborer aucun programme précis et avec l’unique appui des objets de collections privées, Verechtchaguine monte en un temps record une exposition gratuite au Palais du Ministère des biens nationaux. Ce projet s’appuie sur la présentation de « créations artisanales », de collections naturelles, d’une collection archéologique et de trophées militaires célébrant vigoureusement la gloire de l’armée russe. Toutefois la salle où les foules vont se bousculer est surtout celle où Verechtchaguine présente ses œuvres. La réaction du public, relayée par la presse, est teintée de perplexité. D’une part, le topos, selon lequel tout dans la région doit éclater de richesse « asiatique » – tout le monde a lu les Mille et une nuits ! –, revient sans cesse en avant. D’autre part, la presse parle du « quotidien sans prétention du Centre-Asiatique », de la qualité médiocre des objets et de la situation défavorisée de la femme en Orient. Ces jugements de valeurs fleurissent à merveille dans le cadre des discussions très animées que suscitent les tableaux de Verechtchaguine. Accompagnées des notes de voyage que le peintre publie au cours de l’exposition dans le journal Golos (La Voix) en se présentant comme observateur attentif des événements in situ, ces œuvres constituent dans l’esprit du public un calque parfait de la nouvelle colonie russe. Chaque personnage de Verechtchaguine est vu comme un personnage type de l’Asie centrale qui doit incarner une « race ». Mais la typologie physionomiste demande également des précisions sur la question qui brûle toutes les lèvres : comment ces « peuplades » se comportent-elles à l’égard des Russes ? L’image des « indigènes » dans les croquis de voyages semble trop positive. Contrastant avec les dessins au crayon, les grands tableaux apportent une autre nuance dans la perception de la société « indigène ». Dans des scènes qui se veulent « également très typiques », les caractères et le partage des rôles ne laissent planer aucune ambiguïté chez les critiques russes. Certains tableaux reflètent une barbarie des mœurs quasi palpable, comme dans le cas des Adorateurs de batcha (Obožateli bači), où de vieux et riches Sartes, emportés par des sentiments charnels, déshabillent d’un regard voluptueux un jeune garçon. Un même constat de décadence frappe « l’esprit civilisé » des commentateurs dans le tableau des Amateurs d’opium. Ces sentiments de peur latente, de dégoût et de paternalisme se renforcent au travers d’autres sujets. La presse émet un verdict sévère à l’égard de deux tableaux liés à la dernière guerre avec Boukhara. Succès (Udača) et Echec (Neudača) sont perçus comme des œuvres complémentaires qui, en adoptant le point de vue de l’ennemi, racontent respectivement une victoire et une défaite des Turkestanais. Selon la presse, on voit bien à travers ces images quel « type de vie les conquérants [russes] du Turkestan ont été contraints de mener en un premier temps » dans ce « pays de barbarie cruelle ». Verechtchaguine tente cependant de nuancer cette image trop contrastée, en disant que dans cette guerre en Asie centrale « les adversaires ne se respectent pas réciproquement ». Ces observations passent pratiquement inaperçues et ces images, maintes fois publiées, deviennent le symbole d’une guerre avant tout engagée contre des barbares.

Le public « éclairé » de Saint-Pétersbourg manifeste une intérêt plus net pour un tableau de profils ethnographiques construits selon des critères « vraiment scientifiques » fondés sur une classification de données taxonomiques précises comme la forme du crâne, puis la couleur des cheveux, de la peau et de l’iris. En outre, l’image du Turkestan de Verechtchaguine ne traduit pas suffisamment les efforts « constructifs » de l’administration locale dont le but est de montrer toute la séduction du nouveau territoire et son potentiel économique. Svetlana Gorshenina
http://edl.revues.org/378

7/09/2015

Araziler, Tanrılar ve Atalar - özgün dünya, orman güçleri, yeraltı tanrı - nasıl bir yerde yaşamak - tüm güçlerin asayişi sağlama

Lands, Gods and Ancestors - The original world, sylvian and underlying forces - Taking Paul Mus’s idea of a “cadastral religion” as part of the socio-religious organisation of the “Asian base” further, we propose approaching rituals linked to the territorial prosperity of groups living on the margins of state power in the Chinese and Indian worlds in a comparative way. These rituals are organised around the recurring schema of a force of place, both natural and wild, which was pacified by a founding ancestor who, along with his descendants, became the sacrificers representing the entire community—a schema the details and variations of which we have analysed. By legitimising the occupation of a space by one group and promoting its fertility, these rituals are where many interlocking stakes are crystallised. These involve the sources of subsistence and the legitimacy to occupy a territory and also membership and power-play forms, both within the group and in its relations with its neighbours and the umbrella power centres.
One of the major characteristics of these territorial rituals is their place in the natural habitat of each group. The deities to whom these rituals are addressed were conceived as either emanating from or living in the landscapes which give them their shape. This environmental inscription takes on two aspects: chthonic and sylvan based. In the places in which these entities live or in the elements which compose their altars, we regularly find two contrasting elements. On one hand: water, which is often considered to be feminine, fluid and moving. It may come from subterranean sources such as a spring or a river or the sky in the form of rain, often prayed for in land-based fertility rituals. On the other hand: stone, a sterile element the hardness of which marks the permanence and breadth of the territory, and especially the soil, frequently appearing in ritual as a termite nest (a hill-like mound which surges out of the ground, a kind of miniature mountain—the mountain being the culminate point of a territory which it dominates and from which rivers originate). This possibly explains why the combination of alters or Earth/Sky entities is so important and spread out over the entire region (Bouté in this issue). In addition to earth and water, elements stemming from this fertile mixture can also demonstrate the strength of place. Plants, and especially trees, demonstrate the growth of the soil’s energy, as do ponds which are ambiguously neither land nor water, and other water sources which seem to spring from the earth. This is perhaps the reason why half aquatic/half earthly animals such as pythons and other snakes (and their sacralised forms: the Indian nag, the Tibetan klu, the Chineselong, the Taï ngueak), as well as crabs, frogs, fish and saurian which seem to be born of both soil and water can represent chthonic power. These spiritual entities also share a representation of the world as it was before the arrival of mankind, from which derives the sylvan character of the spirits for whom territory-based rituals are performed. They are the first inhabitants, and therefore, the masters of a primordial pure space, cleansed of man and ready to punish those men who would violate or maculate their territory. They are the veritable indigenous population and masters of untamed resources. Living as they do in unstained places, such as remote forest areas, mountain tops or springs, they are thought to live lives which are opposite those of men: their houses are our forests, their cattle is our game—wild animals living on mountain sides are considered to be their domestic flocks. The importance of land and water game can be found in acts which mirror hunting and fishing in territorial rituals and appear in every article in this issue. Tied to soil, water, forest and game, these entities are the masters of nature’s resources. Of course, not every single entity can control all resources at the same time and there are a large number of them. All these entities can, however, be regrouped and classified in one single category, which we will call force of place. This force of place is part of its environment and is characterised as the active power of its territory, its fertility as well as its strangeness. It escapes man’s grasp in the same way it predates him.
If men wish to live in a space they must first deal with the forces which emanate from, or occupy that space. Different settlement scenarios exist, sometime even within the same group. They can take the shape of submitting the local force by combat, trickery or faith: according to Buddhist law, for example, a pacified force becomes a protector of the Buddhist faith. There can also be a marriage-type alliance with the local force. This theme occurs often in South and Southeast Asia, as we can see from the numerous texts describing a foreigner becoming the king of a land by marrying an indigene who often is in the shape of a snake. The most frequent scenario, however, represents a type of contract based upon a sacrificial act, possibly human, and which calms the local force. These pacification scenarios—more or less ancient depending on whether the groups are still migrating and still performing foundation rituals—can be inscribed in tales and/or in territorial rituals and in re-foundation rituals. Altars used in these rituals are often situated at the places where the village foundation ritual occurred and are marked by stones, representing a condensed territory, or by posts of wood or stone stuck into the ground and standing upwards. The sanctuary of these forces of place can also be a bit of forest in which any action other than ritual is forbidden. Just like if giving up a small part of virgin space confers upon man the right to take over the rest.
More or less pacified, the force of place can then change its very nature. It can share that part of humanity from which originated the pacification and/or those who continue to practice the ritual. A human dimension is added to the untamed character of the force of place, making it into an ambivalent entity. This humanisation is reinforced by the generational transmission of the benefits bestowed by the first pacification and/or the responsibility for renewing it. When it involves all those who, following the initial pacification, worship it to the point of becoming the tutelary divinity of the priestly line, the force then takes on an ancestral character. Even if it is not systematic (cf. supra), this ancestral dimension remains recurrent and important. This is notably true because it is by this ancestral link that this abstract, and universally conceived (since it originated from a sylvan and chthonic world; the common space upon which all human societies are built), power exists under a particular shape, both local and personal for the community which is in contact with it. Ancestors also act to legitimise the land rights of their descendants and genealogy becomes a land deed, the force of place then can become a guardian spirit and/or protector, keeper of institutions and customary order. In case a law is broken, such as in a case of incest in the village or the non-respect of a ritual, the power can manifest itself as an extraordinary natural (to us) phenomenon: a tiger entering the village upsetting the separation between within and without, a hail shower which destroys the crops, etc. On the other hand, when it is channeled and pacified by ritual, the power permits the people to occupy the space and obtain prosperity, fertility, vitality, fecundity, etc. These benefits may all have many common points, but there are many nuances which separate them. Pacified and controlled by man via ritual, the force of place dispenses its fertile strength over the space occupied by the group and this space become territory.


Terres, Dieux et ancêtres - Le monde originel, les forces souterraines et forestières - Faisant suite à l’idée de Paul Mus concernant l’existence d’une « religion cadastrale » constitutive de l’organisation socio-religieuse du « socle asien », nous proposons d’approcher de manière comparative les rituels liés à la prospérité du territoire des populations vivant en marge des pouvoirs étatiques des régions sinisées et indianisées, ce que nous appelons ici les « marges sino-indiennes ». Ces rituels s’organisent autour d’un schéma récurrent dont nous analysons les détails et les variantes. Il s’agit d’une force du lieu, naturelle et sauvage, pacifiée par un ancêtre fondateur, lequel en devient avec ses descendants les sacrificateurs représentant la communauté toute entière. En légitimant l’occupation d’un espace par un groupe et en favorisant sa fertilité, ces rituels sont le lieu de cristallisation de nombreux enjeux imbriqués qui impliquent tout à la fois les sources de la subsistance, la légitimité d’occuper un territoire, mais aussi les formes d’appartenance et l’exercice du pouvoir interne au groupe et dans sa relation avec ses voisins et les centres de pouvoir qui les englobent. L’une des caractéristiques importantes de ces rituels en lien avec le territoire est leur inscription dans l’environnement naturel qu’habitent ces groupes. Conçues comme en émanant ou l’habitant, les entités auxquelles s’adressent les rituels s’inscrivent dans les catégories du paysage. Cette inscription environnementale se révèle ici sous deux aspects : chtonien et forestier. Dans les lieux supposés habités par ces entités ou dans les éléments formant leur autel, on retrouve fréquemment la combinaison de deux matières contrastées. D’un côté l’eau, élément souvent conçu comme féminin, fluide et mouvant, du sous-sol (source, rivière) et du ciel (sous forme de pluie, souvent demandée lors des rituels en lien au territoire), nécessaire à la fertilité. De l’autre côté, la pierre, élément stérile, mais dont la dureté marque la permanence et l’étendue du territoire, et surtout la terre – parfois associée au rituel sous forme de termitière, monticule qui semble surgir de la terre et miniature de la montagne, point culminant d’un territoire qu’elle domine et d’où est issue la rivière. De là vient peut-être l’importance de cette combinaison des autels et/ou entités Ciel et Terre, répandus dans toute la région. En plus de la terre et de l’eau, les éléments issus de ce mélange fertile peuvent manifester cette force du lieu. Ce peut être les plantes – et surtout les arbres, manifestation de croissance de l’énergie du sol – mais aussi les mares – dont on ne sait trop si elles sont terre ou eau – et autres points d’eaux semblant comme jaillir de la terre. C’est peut-être pourquoi y sont fréquemment associés des animaux, mi-aquatiques, mi-terrestres, qui paraissent en sortir : pythons et autres serpents (et leur forme déifiée : nāg indien,klu tibétain, long chinois, ngueak thaï) mais aussi crabes, grenouilles, poissons, sauriens, qui semblent nés du sol et de l’eau, et peuvent de ce fait représenter la puissance chtonienne. Ces entités spirituelles ont également pour point commun de représenter le monde tel qu’il existait préalablement à l’arrivée des hommes, ce qui explique le caractère souvent forestier des esprits auxquels les rituels liés au territoire s’adressent. Premiers habitants, et de ce fait, maîtres des lieux qu’ils aiment purs, c’est-à-dire non souillés par les hommes, ils punissent les hommes qui violeraient ou souilleraient leur territoire. Ce sont eux les véritables autochtones et les maîtres des ressources sauvages. Habitants de ces lieux inviolés (forêts reculées et hautes montagnes, sources, etc.), ils sont parfois dits mener une vie inverse de celle des hommes : leurs maisons sont pour nous forêts, leur bétail est pour nous gibier : les quadrupèdes à corne, ces animaux occupant les flancs de montagnes, sont parfois considérés comme leur propriété, leur troupeau domestique. L’importance du gibier terrestre et aquatique se retrouve dans la récurrence des actes de chasse et/ou de pêche associés aux rituels en lien avec le territoire ; ils apparaissent dans toutes les contributions de ce volume. Liées au sol, à l’eau, à la forêt, au gibier, ces entités sont les maîtresses des ressources du monde. Il ne s’agit certes pas toujours d’une même entité qui contrôle toutes ces ressources à la fois ; elles peuvent même être déclinées en grand nombre. Mais par-delà leur diversité, il est possible de regrouper, de subsumer toutes ces entités en une même catégorie ; nommons-la force du lieu. Cette force du lieu inscrite dans l’environnement se caractérise comme la puissance active du territoire, sa fertilité, mais aussi son extranéité : elle échappe aux hommes tout comme elle leur préexiste.

Les hommes, pour s’installer en un lieu, doivent composer avec les forces qui en émanent et/ou l’occupent. Les scénarios de ces installations sont multiples, même parfois au sein d’un même groupe. Ils peuvent prendre la forme d’une soumission de la force du lieu, par le combat, la ruse, la foi – la loi bouddhique, par exemple, la force pacifiée devenant alors protectrice de la foi bouddhiste. Il peut s’agir d’une alliance de type matrimonial avec la force du lieu. Ce thème est fréquemment évoqué en Asie du Sud et du Sud-Est, au travers des nombreux récits qui mettent en scène un personnage étranger devenant roi d’un pays en épousant une autochtone, qui a souvent la forme d’un serpent. Le scénario le plus fréquent reste néanmoins une forme de contractualisation basée sur un acte sacrificiel, qui apaise la force du lieu. Ces scénarios de pacification – plus ou moins anciens, selon que les populations se déplacent encore, et réalisent donc périodiquement des rituels de fondation – peuvent être remémorés dans les récits et/ou dans les rituels liés au territoire et dans les rituels de refondation. Les autels où s’accomplissent ces rites sont souvent situés sur les lieux où s’effectuèrent les actes de fondation du village, et sont marqués par des pierres, ou des poteaux (de bois ou de pierre, enfoncés dans le sol et pointant vers le ciel). La demeure de ces forces du lieu peut être aussi un bout de forêt préservé au sein duquel toute action autre que rituelle est interdite, comme s’il s’agissait aussi, en renonçant à une minuscule portion d’espace laissée intact, de s’arroger le droit de s’approprier tout le reste.
Ainsi plus ou moins pacifiée, la force du lieu peut alors changer de nature. Elle peut se charger d’une part d’humanité, en tendant à se confondre avec le personnage à l’origine de cette pacification et/ou avec ceux qui lui adressent un rituel par la suite. Au caractère sauvage de la force du lieu s’ajoute ainsi une dimension humaine, qui en fait une entité ambivalente. Cette humanisation se trouve renforcée par la transmission, de génération en génération, des bénéfices de l’opération première de pacification et/ou de la charge de son renouvellement. Lorsqu’elle se confond avec l’ensemble des personnages qui, à la suite du premier pacificateur, lui rendent culte (au point de devenir parfois la divinité tutélaire de ces officiants), elle se dote d’un caractère ancestral. Si elle n’est pas systématique (voir supra), cette dimension ancestrale est néanmoins récurrente et très importante. D’abord parce que c’est notamment par ce lien à l’ancestralité que cette puissance abstraite et conçue comme universelle (puisqu’elle relève du monde forestier et chtonien, cet espace commun sur lequel se fondent les sociétés humaines) existe sous une forme particulière, locale et personnelle pour la communauté humaine qui est en relation avec elle. Ensuite, parce que les ancêtres légitiment le droit de leurs descendants sur la terre ; la généalogie fait alors office de charte foncière, et la force du lieu peut alors devenir esprit gardien et/ou protecteur, garant des institutions et de l’ordre coutumier. En cas de contravention à la règle (un inceste dans le village, un rituel non respecté, etc.), la force du lieu peut se manifester sous la forme d’un phénomène (que nous qualifierons de) naturel extraordinaire : un tigre qui rentre dans le village et bouleverse la séparation entre le dedans et le dehors, la grêle qui détruit les récoltes, etc. Inversement, lorsqu’elle est canalisée et pacifiée par le rituel, elle permet d’occuper le lieu et, plus encore, d’obtenir prospérité, fertilité, vitalité, fécondité, etc. (autant de notions proches mais entre lesquelles il peut exister d’importantes nuances). Pacifiée et contrôlée par les hommes via le rituel, la force du lieu dispense sa puissance de fertilité sur l’espace occupé par le groupe, espace qui devient ainsi territoire.
« Rituals, Territories and Powers in the Sino-Indian Margins », Moussons [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 09 juillet 2015. URL : http://moussons.revues.org/1174 © Presses Universitaires de Provence