The
law of the masks
- Persona
The
law of the person and of the body may be called the
law of the masks. Persona,
in Roma, is the theatre mask of the comedian and the role played by
him, who had to speak heartily (sonare),
i.e. both the sign and the represented action. Modernity revised such
etymology under the double and contradictory influence of
Christianity and rationalism, both expressing the belief in a
specific nature of the person, divine or rational. Firstly, the law
of the body protects the body as it contains the trail of the person
in the same way as man bears God’s print. On the model of catholic
theology, human rights thus make dignity the category which allows to
protect the body : euthanasia is forbidden, abortion is an
exception. Only afterwards, under the influence of rationalism does
law make the body a freedom of the person which is then capable of
nearly everything : allowance of an assisted reproduction,
organs gifts… This omnipotence of the individual expresses the
belief in man-God. Is a coming-back to the roman etymological origin
where mask was only a sign, today imaginable ? Mirroring Bambara
masks or Greek
masks of Dyonysos, the person and the body would then only be
narratives that create a world of meanings which « institute »
the person. Then mankind would be this narrative : there would
be « nobody » (or « no person ») behind the
mask.
Masks
are worrisome, as law is. Its strangeness is bound to that of the
masks. For the law changes the person into a mask. The personal right
and
the right to physical integrity could be referred to as the
law of the masks:
“The
personal right concerns the mask. Persona,
it is the mask. Thinking in these terms changes our view, if at
least, we take seriously the etymological teaching. For legal
scholars, it
would be a curse …”
The
mask is both the appearance of the human face and the underlying
legal person. A singular relationship between the mask and he
who bears it, sometimes concealing, sometimes revealing, yet always
allowing action. The mask is the link between the body it conceals
and the person it represents. In
Rome, etymologically, the primary meaning of the word persona
is the actor's theatrical mask and his role, that should speak with
distinction (sonare),
in other words, both the sign and the represented action. Later, the
person
designated the role, the parties' voices during trial, the plaintiff
(persona
actoris)
or the defender (persona
rei).
By extension, persona
is the human being,
but only as such in legal affairs, fulfilling a role and a speech
assigned by the legal order: role of family's patriarch and son of
family, slave or emancipated slave, the persona
is therefore only a technical mean localization
and
attribution of rights and duties. Above all, persona
is not synonymous with human being, has no relevance with the
concrete being nor with the body. Persona
and concrete human being do not necessarily coincide. In this way the
slave can be persona
although not legally competent, when he is related to an action which
links him to the juridical system. The slave is also res
(thing)when
being subject of litigation. Regarding the body, it is necessarily a
res,
since
the persona
is only an artifact, an object, an imputation technique. Corpus
moreover
etymologically designates the substantive element of things. And the
matter of knowing if the body is a thing is not relevant to Roman law
for
which people can be considered as res,
men can be sold, and the pater
can sell his children. The res
is through its etymology the subject matter, the thing that has been
debated, the object of the lawsuit, that can be a person or a thing.
In this universe, no man, no human being, no tangible subject, no
individual, no subjective right... The Roman law is like a technique,
a ars
established as technical categories without any reference to the
human individual. The
man as individual does not exist and is embedded in groups, in
status,
that make him the member of a family, of a city or the free men
community. Thus, in Roman law “law is not the attribute of an
individual, viewed in isolation, but a specified quantity of
prerogatives and responsibilities”. This notion of the individual
and his body is an objectivist approach related to the authority of
the legal system, abstract, non idealistic, autonomous with respect
to the human being. The
Ancient Law will inherit this technical notion of the human being,
“the state of persons” designating the rules related to juridical
capacity, in other words, to all statuses, to all the qualities. The
person is then only a metaphorical process, a transfer of sense.
Gilles Lhuillier
Le
droit des masques – Persona
Le
droit de la personne et du corps pourrait être nommé le droit
des masques.
Persona,
à Rome, c'est le masque de théâtre de l’acteur, et le rôle joué
par lui, qui devait parler avec éclat (sonare),
c’est-à-dire à la fois le signe et l’action représentée. La
modernité a révisé cette étymologie, sous la double influence
(souvent contraire) du christianisme et du rationalisme, exprimant
l’un et l’autre la croyance en une nature singulière de la
personne, divine ou rationnelle. D’abord, le droit du corps protège
le corps car il porte la trace de la personne, comme l’homme porte
la trace de Dieu. Les droits de l’homme font ainsi de la dignité,
à l’imitation de la théologie catholique, la catégorie qui
permet de protéger le corps : l’euthanasie est interdite,
l’avortement est une exception. Ensuite seulement, sous l’influence
du rationalisme, le droit fait du corps une liberté du sujet qui
peut donc presque tout : admissibilité d’une reproduction
assistée, dons d’organes… Cette toute-puissance de l’individu
exprime la croyance en l’Homme-Dieu. Un retour à l’origine
étymologique romaine où le masque n’était qu’un signe, est-il
aujourd’hui pensable ? À l’image des Masques Bambara ou des
masques Grecs de Dionysos, la personne, et le corps ne seraient alors
que des récits créant un monde de signification qui institue le
sujet. L’humanité serait alors ce récit : il n’y aurait
« personne » derrière le masque.
Les
masques sont inquiétants. Comme le droit. Son étrangeté est liée
à celle des masques. Car le droit fait de la personne un masque. Le
droit de la personne et du corps pourrait être nommé le droit
des masques :
« Le
droit des personnes touche à la question du masque. Persona,
c'est le masque. Penser en ces termes change notre vision, si du
moins nous prenons au sérieux l'enseignement de l'étymologie. Chez
les juristes universitaires, ce serait une
malédiction ...»
Le
masque est à la fois l’apparence du visage de l’homme, et
l’origine de la personne juridique. Très singulier est le rapport
entre le masque et celui qui le porte, parfois dissimulant, parfois
révélant, et toujours lui permettant d’agir. Le masque est le
lien entre ce corps qu’il dissimule et la personne qu’il
représente. À Rome, étymologiquement, le sens premier de persona
est
le masque de théâtre de l’acteur, et le rôle joué par lui, qui
devait parler avec éclat (sonare),
c’est-à-dire à la fois le signe et l’action représentée.
Puis, la personne désigna le rôle, la parole des parties dans un
procès, qu’il soit demandeur (persona
actoris)
ou défendeur (persona
rei).
Par extension, persona est
l’homme, mais seulement tel qu’il se présente dans la vie
juridique, remplissant les différentes paroles ou les différents
rôles que l’ordre juridique peut lui attribuer : rôle de
père ou de fils de famille, d’esclave, d’affranchi.
La persona n’est
donc qu’un moyen technique de localisation et d’imputation des
droits et des obligations. Et surtout, la persona n’est
pas synonyme d’être humain, et n’a pas de rapport avec l’être
concret, ni avec le corps. Persona et
personne concrète ne coïncident donc pas nécessairement. Ainsi de
l’esclave, qui peut être persona,
bien qu’il ne soit pas pleinement capable, lorsqu’il exerce une
fonction qui le met en relation avec le système juridique,
et res lorsqu’il
est objet d’un contentieux. Quant au corps, il est nécessairement
une res,
la persona n’étant
qu’un artéfact, une technique d’imputation. Corpus désigne
d’ailleurs étymologiquement l’élément matériel des choses. Et
la question de savoir si le corps est une chose n’est pas très
pertinente dans le droit romain où les personnes elles-mêmes
peuvent être considérées comme des res,
où l’homme libre peut se vendre, et où le pater peut
vendre ses enfants. La res est
alors en son étymologie seulement le point discuté, la chose
débattue, l’objet du procès, qui peut être une personne ou une
chose. Dans cet univers, pas d’homme, pas de personne humaine, pas
de sujet concret, d’individu, de droit subjectif, de sujet… Le
droit romain se présente comme une technique, un ars,
où les catégories techniques sont posées sans référence à un
être humain individuel. L’homme, au sens d’individu n’existe
pas en tant que tel mais est inséré dans des groupes, dans
des status,
qui font de lui le membre d’une famille, d’une cité, ou de la
communauté des hommes libres. Ainsi, dans le droit romain, « le
droit n’est pas l’attribut de l’individu, isolément considéré,
mais une quantité délimitée de prérogatives et de charges. »
Cette conception de la personne et du corps est objectiviste, liée à
l’autorité du système juridique, abstraite, non idéaliste,
autonome par rapport à l’être humain. Et l’Ancien Droit recevra
cette conception technique de la personne, « l’état des
personnes » désignant alors ces règles relatives à la
capacité juridique, c’est-à-dire l’ensemble des status,
l’ensemble des qualités. La personne n’est
alors qu’un procédé métaphorique, un transfert de sens.
Gilles Lhuillier
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