8/31/2015

Kazakistan 2 - dünyaların organizasyonu kaybolma - Kazak tarihinin yeniden yazma, Cengiz Han ve Timur < yakın tarihi silme < kültürel kimlik için yıkıcı kandırmaca

Worlds organisation disappearance – In contemporary Kazakhstan many various factors of identity do not, strictly speaking, provide a definition for a Kazakh nation, but show – according to Pierre Bonte's and Michel Izard's definition of identity - an endlessly renewed codification of cultural differences between neighbouring groups. Thus construction methods, the processing and the restructuring of social standards are operating in a momentum far beyond the traditional Kazakh individual 'being-in-the-world'. With the will of building a Kazakh identity comes a religious factor exploited by governing powers. What is being played out in contemporary Kazakhstan seems to belong to a range of strategies and practices tending to prevent the effects of the transition from a traditional economic production model to an unbridled liberalism. When searching solutions, Kazakh population is turning to beliefs that feed from the great Central Asian heroic figures of former empires. In this specific frame, the person of the bakhs(Sufi shaman) represents a reliable reference point while the future is full of uncertainty. Ethnic origin and social status do no affect the resort to the bakhs in order to find a solution to their problems. Together, contemporary religious practices are subject to two determination types: on the one hand traditions, and Islam on the other hand. The traditional aspect refers to pre-Islamic legacy of Siberian shamanism, ancient Zoroastrian religion, Buddhist and Nestorian influences. Popular Islam is almost only Sufi. The contemporary period is characterized by the arrival of a normative Islam and Korean Pentecostal charismatic groups. How did the cosmological organisation of the Kazakh worlds disappear as fast as it resisted the Sovietisation? Nowadays, will the massive inflow, due to rural exodus, of mainly Kazakh speaking populations in urban environments, change the linguistic configuration of cities? Nothing could be less certain. The Russian language remains transnational within the former USSR and most of all, westernisation gives a unique local boost to English. The impoverishment and simultaneously the increase in needs diminished the traditional solidarity network as it is whittled away. In the traditional system of beliefs, people had to assist each other according to the requirement towards human beings to preserve the worlds balance. Market logic lead to the disappearance of this reference. All governmental services became chargeable. Water, electricity, gas, phone, health services, are in the process of being privatised and consequently the marginalisation of those who can't pay. One of the keys for reading the contemporary situation is the breach introduced and intended by the authorities since the independence. Cultural identity is a legitimate aspiration, but divorced from necessary growing awareness of the historical situation, it can become dangerous. The re-writing of Kazakh history in view of great figures as Genghis Khan and Timur, erasing recent history leads to a devastating trickery. The loss of collective points of references and the withdrawal into nuclear family can undermine the social organisation as a whole. Until now the younger child inherited the family yurt and looked after his old parents. The exodus to the towns and the duty to find work outside of the family inheritance shows a dramatic isolation of the elders. To die alone without means and the presence of the step daughter to look after the dwelling was until now unthinkable when nowadays common. The situation is nevertheless paradoxical. The plurality of the former organised worlds around the vertical axis of the 'tree of worlds' disappears in favour of a world in the singular that, before it had time to organise, got trapped in globalisation. Bearing in mind that the Kazakh worlds were superimposed, each inhabited by divinities and spirits, and also that the world of human beings found its structure in cardinal points, remembering the organisation of the terrestrial incarnation in cycle from west to east, from place of birth to return of death, how can contemporary Kazakh society delete this entire reason end desire for movement? This virtual world replaces the real and that in the very heart and foundations of the Kazakh Nation: transition to a national identity, that is to an imaginary community, transition to a Muslim religion identity and that is to a same imaginary community of the great Muslim international community. The Kazakh society semi-nomadic is confronted to the fundamental movements of modernity: chronic transformations of the representation of the real and gradually the integration of the Kazakh worlds in a virtual globalized world. Anne-Marie Vuillemenot

young kazakhs by Salkitdin Aitbayev

Disparition de l'organisation des mondes - Dans le Kazakhstan contemporain apparaissent en nombre des facteurs identitaires qui ne permettent pas de définir à proprement parler une nation kazakhe, mais qui montrent, suivant la définition de l’identité de Pierre Bonte et de Michel Izard, « une codification constamment renouvelée des différences culturelles entre groupes voisins » (Bonte et Izard 1991 : 243). Aussi les modes de construction, la transformation et la recomposition des normes sociales s’inscrivent-ils dans une dynamique qui dépasse de loin l’être-au-monde traditionnel de la personne kazakhe. Dans la volonté de construire une identité kazakhe, le facteur religieux se trouve instrumentalisé par le pouvoir en place. Ce qui se joue dans le Kazakhstan contemporain me semble appartenir à un vaste ensemble de stratégies et de pratiques qui tendent à conjurer les effets du passage d’une économie assistée à un libéralisme effréné. A la recherche de solutions, la population kazakhe se tourne vers des systèmes de croyances qui s’alimentent aux grandes figures héroïques de l’Asie centrale des empires. Dans ce cadre, la personne du bakhsi (chaman-soufi) apparaît comme un point de repère fiable alors que l’avenir est chargé d’incertitudes multiples. Origine ethnique et statut social confondus, nombreux sont ceux qui se rendent chez un bakhsi pour trouver une issue à leurs difficultés. L’ensemble des pratiques religieuses contemporaines est soumis à deux types de déterminations : traditions d’une part, islam d’autre part. L’aspect traditionnel fait référence à l’héritage pré-islamique du chamanisme sibérien, de la vieille religion zoroastrienne et des influences bouddhiste et nestorienne. L’islam populaire est presque exclusivement soufi. La période contemporaine se distingue par l’arrivée d’un islam plus normatif et de mouvements charismatiques tels que celui des pentecôtistes coréens. Comment l’organisation cosmogonique des mondes a-t-elle pu disparaître aussi vite alors qu’elle avait résisté à la soviétisation ? Aujourd’hui, l’apport massif, dû à l’exode rural, d’une population majoritairement kazakhophone en milieu urbain va-t-il changer la configuration linguistique des villes ? Rien n’est moins sûr. Le russe reste une langue transnationale au sein de l’ex-URSS et surtout, l’occidentalisation en cours donne à l’anglais un nouvel essor local. La paupérisation et, parallèlement, l’augmentation des besoins ont réduit le réseau de solidarité traditionnel à une peau de chagrin. Dans le système traditionnel de croyances, il fallait s’entraider au nom de l’obligation faite aux humains de préserver l’équilibre des mondes. L’arrivée de la logique de marché a fait exploser cette référence. Tous les services de l’État sont devenus payants. L’eau, le téléphone, le gaz, l’électricité, le système de santé sont en voie de privatisation avec pour conséquence l’exclusion de ceux qui ne peuvent payer. Une des clefs de lecture de la situation contemporaine est la rupture introduite et voulue par les autorités depuis l’indépendance. L’identité culturelle est une aspiration légitime, mais coupée de la nécessaire prise de conscience de la situation historique, elle est dangereuse. La ré-écriture de l’histoire kazakhe au regard de grandes figures telles que Gengis Khan et Timour, en gommant l’histoire récente, conduit à un artifice dévastateur.  La perte de repères collectifs et le repli sur la famille nucléaire risquent d’atteindre en profondeur l’organisation sociale. Jusqu’alors, le cadet héritait de la yourte parentale et s’occupait de ses vieux parents. La fuite vers les villes et l’obligation de se trouver du travail en dehors de la succession familiale laissent apparaître un isolement dramatique des personnes âgées. Mourir seul et sans ressources, sans une belle-fille pour s’occuper du foyer, était jusqu’alors impensable ; aujourd’hui, c’est monnaie courante. La situation est pour le moins paradoxale. La pluralité des mondes organisés autour de l’axe vertical de l’arbre des mondes tend à disparaître au profit d’un monde au singulier, mais ce dernier se trouve mondialisé avant même d’avoir eu le temps de s’organiser. En se rappelant que les mondes kazakhs se superposaient les uns aux autres, chacun habité par des divinités et des figures d’esprits, mais aussi que le monde des humains se structurait d’après les points cardinaux alliant la gauche au nord et la droite au sud, en se remémorant encore que l’incarnation terrestre s’organisait en cycle à partir de l’ouest vers l’est, lieu de la naissance, jusqu’au retour de la mort à l’ouest, comment la société kazakhe contemporaine peut-elle gommer sa raison profonde de mouvement ? Le virtuel se substitue au réel et ce dans les fondements même de la nation : passage à une identité nationale, c’est-à-dire à une communauté imaginaire, à une identité religieuse musulmane et à l’appartenance à une communauté tout aussi imaginaire, celle de la grande communauté musulmane internationale. Cette société kazakhe semi-nomade s’est trouvée – et se trouve encore – confrontée aux mouvements fondamentaux de la modernité, à savoir : les transformations chroniques du réel en sa représentation et peu à peu à une inscription de leur(s) monde(s) dans un monde virtuel globalisé. Anne-Marie Vuillemenot


8/26/2015

Kazakistan - Dünyalar çöktü günü1 - Rus emperyal otokrasiye'den Milli otokrasiye'e - çobanları dünya: hayat her yerde, her şeyide - yılın mevsimleri ile ve kampları değişiklikler ile yönetilen bu bir dünya

The day the worlds
collapsed

This paper deals with the re-humanisation of the Kazak post-modern world through the ruptures, the losses and the disappearances which have surrounded the family lives of semi-nomad shepherds from the era of sovietisation to the present day.
And so disaster came to the people of the Genghiz Hills in the summer of 1953 it came in a single hour. The children, tending the goats and sheep behind the village, all heard the terrible cries, screams and women weeping. Leaving the sheep and goats on the steppe, jostling each other as they ran, their bare feet flashing, they rushed to the village. What was taking place there was unimaginable-people were embracing each other, saying farewell, making vows and shouting, weeping. Commotion, confusion, chaos-and we young boys were standing with our mouths open. unaware of the misfortune which had befallen the inhabitants of our quiet and cosy village. Perhaps, war had broken out? It dawned upon some of us that it might be a war against the Americans or some other imperialists and we greedily began to examine the enormous military vehicles and the soldiers rushing everywhere, all of whom seemed to have appeared from under the ground... Can we consider the radically new, the totally different and the all otherly to be ungraspable for the Kazak shepherds through the prism of their traditional representations of the worlds? Are their landmarks in space and time disturbed to the point of ruining their old relation to the worlds?
In the heart of Eurasia, Central Asia has been influenced by India, China, Greece, Mongolia, Turkey and Russia. Likewise, the regions experienced Alexander', Genghis Kahn' and Timur's empires and of course tsarist Russia and the Soviet colonization. The contemporary Kazakh population thus can be described as a mosaic of different origins, languages and religions. In Almaty, people speak: Russian, Kazakh, Uzbek, Kirghiz, Turkish, Chechen, Tajik, Turkmen, German, Polish, Greek and English, the language of the new busyness age. The various strata of the religious landscape show Shamanism, Zoroastrian religion, Nestorian Christendom, Buddhism, Hinduism, Sufism and other popular Muslim alternatives, Russian Orthodoxy and currently an Islam that tries to conceal all those previous religious influences. During most of its history, the Kazakh, no matter what name the may have assumed, were not organized as a Nation, but as scattered tribes or incorporated in a temporary federation of tribes. The Kazakh population division is carried out through three groups; zhuz, uli elder, zhuz orta intermediate, zhuz keche youngest. The zhuz is organized in many tribes of which the number varies according to time and alliances with to each zhuz a specific function. The youngest zhuz keche was traditionally the group in power, from there come the Khans. The intermediate zhuz gathers most artists, poets, writers and craftsmen, the elder zhuz is of the shepherds. At the time of independence, by bringing a shepherd from the elder zhuz to power, the ex-Soviet Union maintained its position against an eventual return of some one from the powerful zhuz keche. The division in zhuz was combined with a social organisation into halves: the white bones (the nobility) and the black bones (the People), the Kazakh shared this type of division with the Mongols.
The herdsmen world begins with the tree of worlds, the vertical axis around which various worlds are organized in layers. One certainty about the sky, each star carries a 'soul' or 'vital principles' and therefore the sky must be gingerly studied. Facing the sky, the herdsman must show respect and fear, so as not to draw attention to the djinns (spirits) on him nor on his family. In any way, taboos are taboos, regardless of the divinity or the spirits owners. Life is everywhere in everything, the stone lives, the mountain lives, the steppe lives. At a person's birth, seeds are planted throughout the planet and he will spend his life to harvest their fruits. Death happens after the last seed harvest that leads man to the 'other world' where he lives as on earth with his family, his friends, his yurt and his herds.
The world was governed by the seasons and the camps changes, by the life inside the yurt with the nuclear family, friends and neighbours, a world balancing between earth and sky, there where human beings belong to. This 'over there' belongs now to inaccessible worlds and feeds the story elders tell the younger generations, children born to live a sedentary life.

In 1991, the independence marks a new disruption along with fundamental social, economic changes due to the opening of the great international market, the wild capitalism and the emergence of criminal mafias. Kazakhstan as other Central Asian republics transfer from imperial Russian autocracy to national autocracy. Men are not prepared to leave their nomadism and women dream of modern urban life. When misery chases poverty, herders did not have any choice, in may 1994 all left their yurts. The contemporary situation of Kazakh herders frames in a schematic showing two main factors: the search for identity and individuation. Anne-Marie Vuillemenot

Le jour où les mondes disparurent

Cet article s’interroge sur la ré-humanisation du monde postmoderne kazakh à partir des ruptures, des pertes et des disparitions qui ont émaillé la vie de familles de bergers semi-nomades de la soviétisation à nos jours. Le radicalement nouveau, le tout autre et le tout autrement s’avèrent-ils insaisissables pour les bergers kazakhs à travers le prisme de leurs représentations traditionnelles des mondes ? Leurs repères spatio-temporels s’en trouvent-ils bouleversés au point de ruiner leurs anciens rapports aux mondes ? C’est malheureusement sur ce fond de poubelle nucléaire de la grande Russie soviétique qu’il faut imaginer la beauté folle des steppes et des montagnes kazakhes. La radioactivité n’abîme pas visuellement le paysage, c’est formidable ! Partant, très peu de personnes surent ce qui se tramait dans la steppe. Ce n’est qu’après l’indépendance et à l’initiative du mouvement d’opposition Nevada-Semi que la question de la pollution nucléaire fut ouvertement posée. Comme l’écrit Peter Sloterdijk (2002 : 26), « depuis que les temps sont devenus ‘modernes’, au sens précis du terme, l’être-dans-le-monde signifie devoir s’agripper à l’écorce terrestre et implorer la pesanteur – au-delà du giron et de l’enveloppe ». Aussi, s’agit-il de se pencher sur la ré-humanisation du monde postmoderne kazakh et pas seulement de souligner l’irrémédiable des ruptures, des pertes et des disparitions. Le radicalement nouveau, le tout autre et le tout autrement s’avèrent-ils insaisissables pour les bergers kazakhs à travers le prisme de leurs représentations traditionnelles des mondes ? Leurs repères spatio-temporels s’en trouvent-ils bouleversés au point de ruiner leurs anciens rapports aux mondes ?
Au cœur de l’Eurasie, l’Asie centrale a subi les influences indienne, chinoise, grecque, mongole, turque, arabe et russe. De même, ces régions ont connu les empires d’Alexandre, de Gengis Khan, de Tamerlan (Timour), de la Russie tsariste et enfin soviétique. La population kazakh contemporaine se présente ainsi comme une mosaïque d’origines, de langues, de religions. Les langues turques ont emprunté au mongol et au persan, puis au russe, un grand nombre de mots. A Almaty, on parle : russe, kazakh, ouzbek, kirghiz, turc, tchétchène, tadjik, turkmen, allemand, polonais, grec… mais aussi anglais, la langue du nouvel âge marchand. Les différentes strates du paysage religieux comprennent le chamanisme, la religion zoroastrienne, la chrétienté nestorienne, le bouddhisme, l’hindouisme, le soufisme et différentes sortes d’islam populaire, l’orthodoxie russe et, aujourd’hui, un islam tentant de voiler ces influences religieuses antérieures. Pendant l’essentiel de leur histoire, les Kazakhs, quel que soit le nom qu’on leur donnait à l’époque, ne furent pas organisés en nation, mais en tribus dispersées ou incluses dans une fédération provisoire de tribus. La division par les Kazakhs de leur population s'effectue en trois tribus,  zhuz(uli (aînée), orta(moyenne) et keche (cadette)). La zhuz rassemble un certain nombre de tribus, nombre variable suivant les époques et les alliances. A chaque zhuz correspond une fonction particulière. La zhuz cadette occupe traditionnellement le pouvoir, c’est d’elle que sont issus les khans. La zhuz moyenne rassemble les poètes, les écrivains et les artisans, la zhuz aînée est celle des bergers. En mettant au pouvoir un fils de berger issu de la zhuz aînée, au moment de l’indépendance, la Russie ex-soviétique s’est ainsi préservée d’un retour éventuel de la noblesse. La division en zhuz se doublait d’une organisation sociale en moitiés : les os blancs (la noblesse) et les os noirs (le peuple), division que les Kazakhs partageaient avec les Mongols.
Le monde des bergers débute par  l’arbre des mondes, l’axe vertical autour duquel les différents mondes s’organisent en étages superposés. Une certitude : chaque étoile est porteuse d’« âme », c’est-à-dire de principes vitaux ; en conséquence, le ciel s’observe avec précaution. En face de lui, le berger se fait craintif et respectueux, il ne voudrait en aucun cas attirer l’attention des djinns (figures d’esprits) sur lui et sa famille. Les interdits sont les interdits, peu importe la divinité ou l’esprit possesseur à qui ils se rapportent. La vie est partout et en tout, la pierre vit, la montagne vit, la steppe vit. Quand un homme naît, des graines sont semées pour lui sur l’ensemble de la planète et sa vie terrestre se passe à récolter les fruits de ces graines. A la dernière récolte succède naturellement la mort qui entraîne l’homme dans « l’autre monde », où il vit comme sur terre avec sa famille, ses amis, sa yourte (hutte traditionnelle de feutre) et son bétail. Le monde était celui rythmé par les saisons et les changements de campements, celui de la vie dans la yourte avec la famille nucléaire et les voisins, celui en équilibre entre ciel et terre, là où doivent se tenir les humains. Ce « là bas » appartient désormais aux mondes inaccessibles et nourrit les récits que les plus anciens font aux jeunes générations nées sédentaires.
L’indépendance en 1991 amène une nouvelle rupture, et avec elle, les bouleversements socio-économiques de l’ouverture au grand marché international, le capitalisme sauvage et l’émergence des mafias. Le Kazakhstan, comme les autres républiques centre-asiatiques, passe d’une autocratie de l’empire à une autocratie nationale. Les hommes ne sont pas prêts à quitter le nomadisme pastoral alors que les femmes rêvent d’urbanité ! En dernier ressort, les bergers n’auront pas à choisir puisque le choix a déjà était fait pour eux. Ils quitteront tous définitivement la yourte en mai 1994. Quand la misère chasse la pauvreté on note une subordination croissante à l’économie et une prolifération des besoins – besoins qu’il est de plus en plus difficile, sinon impossible, de satisfaire, pour la majorité de la population. La situation contemporaine des bergers kazakhs correspond à un schéma dessiné par deux facteurs essentiels: la recherche identitaire et l’individuation. Anne-Marie Vuillemenot
http://civilisations.revues.org/136#tocto1n5


8/20/2015

Arilerle ilgili efsane - İdeoloji, kolonizasyon için çok yararlı (Rusya, Almanya, Türkiye) - tengricilik, neo-paganizm, Zerdüştlük, Şamanizm - Manevi pota - Gerçek etnik kimlik gizleme


What is the intellectual genealogy of Eurasianism, the notion that Russia is separate from Europe and Asia yet combines elements from both continents? This is the question Marlène Laruelle, a prolific young French scholar of Russian national identity, currently at the Woodrow Wilson Center in Washington, she had initially expected to find the answer among some nineteenth-century “Asianist” precursors of the early twentieth-century émigré Eurasianists, who likewise might have looked to the East as a source of their cultural heritage. But the matter proved to be more complicated. In reconstructing pre-Revolutionary Russian thinking about their continental identity, she argues that before the Eurasianists virtually no one denied their nation’s fundamental European origins. While Asia did play a role, this was in the context of an Indo-Iranian “Aryan” ancestry in the distant past. The influence of German and other Western Romanticism is clear. Aryanism first appeared as a result of the discoveries by such eighteenth-century philologists as Sir William “Oriental” Jones about the striking similarities between ancient northern Indian Sanskrit and many modern European languages. In its most notorious form, “Aryanism” was transformed by the likes of the comte de Gobineau, Houston Stewart Chamberlain and Alfred Rosenberg from a linguistic theory into a murderous ideology of racial superiority. The Russian variant, Laruelle emphasizes, remained firmly based in its more gentle Romantic roots. For Russians, “to talk about race makes no sense. They are Christians who speak a Slavic language, and these are the only things that count”.

The idea of an Aryan cradle in Central Asia enabled some Russian academic circles inspired by Slavophilism to argue the “non-colonial” nature of Russian expansion by presenting it as the Aryans coming back to their homeland. These discourses became politicized when the tsarist regime established in Turkistan, and played an important role in several local institutions located in Tashkent such as the Turkistan circle of archeology amateurs.
The Aryan myth origin comes from a religious and scientific hypothesis: the Europeans might have a common origin and their ancestors might have come from Asia during an epic migration from Himalayan Highlands. In its first phase, the Aryan myth was a mode of understanding the world and an attempt to gain more insight into the reasons of the western colonial domination. Later researches endeavour to find a geographical origin of the myth: the discovery of a so called Tocharian language engraved on steles and manuscripts found in the middle of Chinese Turkestan (Xinjiang) gives essential interest for a Central Asian cradle. Furthermore, the Russian Aryan myth will be used as an ideology of colonisation since researches on the Pamir and other places meant to be the homeland of Aryan peoples must reconcile Slavophilism and Occidentalism into a broader unity, ariophilism(ariosofil’stvo).
The instrumental use of the Aryan referent in colonial Russian speeches toward Central Asia is based on these arguments: assertion from the conquered lands of political inability of autonomy; repeated emphasis of internally ethnic diversity; divisions of colonised peoples as allied (the Tajiks) and enemies (the Turkic peoples), and finally the justification for the colonial presence as a fact following the natural course of events. 
This article analyses the interactions that exist in Tajikistan between the historical science promulgated by the Academy of Sciences and the political pressure exerted by the authorities in favour of the constitution of an ideology justifying the Nation-state. The two meet around the Aryan theme which has recently become one of the most important historical and ethnological references in local academic publications. The rehabilitation of Zoroastrianism and the assertion of Tajikistan as the « cradle » of the Aryan peoples, formalised by the presidential decree establishing 2006 as « Year of Aryan Civilisation », are being accompanied by numerous ethnicist and racialist discourses that seek to assert the autochthony of Tajiks within a despised Turkic environment. In the politic games of research of the origins currently displayed in the region, Tajikistan wishes to establish itself as the only and unique bearer of Indo-European heritage. The scientific ‘Arianistic’ obsession goes together with an ethnic dissociation, if not racial, between Turkic people and Indo-European people, as unique goal to proclaim the superiority of the second. In contemporary Tajik issue, human sciences remain highly submitted to political pressure even if, unlike in neighbouring Uzbekistan, it is yet possible to express a non-compliant opinion. While only on a speech level expressed and far from any social and political practices of the country, references focused on ‘race’ reveal important ethnic definitions in research and speeches about the Nation in all Post-Soviet Central Asia.
The Zoroastrianism acts as tengrism in the neighbouring Turkic countries, as an intellectualized neo-paganism for the former soviet elites in search for spirituality without transcendence that conceive religion to assert their national identity.

Summary and translation of bibliographic notices of articles from M. Laruelle.


L’idée d’un berceau aryen en Asie centrale a permis à des milieux intellectuels russes inspirés du slavophilisme de mener une réflexion sur la nature « non coloniale » de l’expansion russe en la présentant comme le simple retour des Aryens dans leur patrie. Ces discours se sont politisés au fur et à mesure de l’installation du pouvoir russe au Turkestan et ont joué un rôle important dans certaines institutions locales basées à Tachkent comme le Cercle d’amateurs d’archéologie du Turkestan.
Le mythe aryen est né d’une hypothèse à la fois scientifique et religieuse : les Européens auraient une origine commune et leurs ancêtres seraient venus d’Asie dans une migration épique depuis les hauts plateaux himalayens.  Dans sa première phase, le mythe aryen fut avant tout un mode de lecture du monde et une tentative de comprendre les raisons de la domination coloniale occidentale. Ensuite les recherches vont tenter de définir l’origine géographique du mythe : la découverte d’une langue dite tokharienne inscrite sur des stèles et des manuscrits trouvés au cœur du Turkestan chinois (Xinjiang) joue bien évidemment en faveur du berceau centrasiatique. Plus tard, le mythe aryen russe sert une idéologie de la colonisation puisque les recherches sur le Pamir et les autres lieux supposés de la patrie générale des peuples aryens doivent réconcilier le slavophilisme et l’occidentalisme dans une unité supérieure, l’ariophilie (ariosofil’stvo).
L’instrumentalisation du référent aryen dans les discours coloniaux russes envers l’Asie centrale repose sur ces arguments : affirmation de l’incapacité politique de la zone conquise à se gérer seule ; insistance sur sa diversité ethnique interne, son manque d’unité et de conscience de soi ; division des colonisés en alliés (les Tadjiks) et en ennemis (les Turks), et enfin, la justification de la présence coloniale comme un événement répondant au cours naturel des choses. 


Cet article analyse les interactions existantes, au Tadjikistan, entre la science historique promulguée par l’Académie des sciences et les pressions politi­ques des autorités en faveur de la constitution d’une idéologie justifiant l’État‑nation. Cette rencontre se fait autour du thème aryen, devenu depuis quelques années l’une des références historiques et ethnologiques les plus importantes des publications académiques locales. La réhabilitation du zoroastrisme et l’affirmation du Tadjikistan comme « berceau » des peu­ples aryens, officialisées par le décret présidentiel qui instaure 2006 comme « Année de la civilisation aryenne », s’accompagnent de nombreux dis­cours ethnicistes et racialistes cherchant à affirmer l’autochtonie des Tadjiks au sein d’un environnement turcique méprisé.
Dans les jeux de recherches des origines en cours actuellement dans la région, le Tadjikistan tient à se présenter comme le seul et unique détenteur de l’héritage indo‑européen de l’Asie centrale. L’obsession ‘aryaniste’ de certains milieux scientifiques tadjiks va en effet de pair avec la volonté d’une dissociation ethnique, si ce n’est raciale, entre peuples turciques et peuples indo‑européens, dans le but bien évidemment d’affirmer la supériorité des seconds. Dans le cas tadjik contemporain, les sciences humaines restent grandement soumises aux pressions politiques, même s’il est encore possible, à la différence par exemple de l’Ouzbékistan voisin, d’exprimer une opinion non conforme. Bien que ne s’exprimant qu’au niveau du discours et n’ayant aucune réalité dans la pratique politique et so­ciale du pays, les références centrées sur la ‘race’ sont néanmoins révélatrices de l’ethnicisation en cours des discours sur la nation dans l’ensemble de l’Asie centrale post‑soviétique.
Le zoroastrisme joue ici le même rôle que le tengrisme dans les pays turciques voisins, celui d’un néo‑paganisme intellec­tualisé pour des anciennes élites soviétiques à la recherche d’une spiritualité sans transcendance et qui conçoivent le religieux avant tout comme un élément de l’affirmation nationale.


8/19/2015

Atalarının gölgesi 2.- Tanrılar, ataları, insan - hayatın akışı, kan akışı, ağaç reçinesi akışı - hayat ve kimlik verici

The shadow of the ancestors 2 – Another heritage from Ancient Rome is the way to represent kinship, in terms of measure, dictated by jurists. Built on a spatial understanding of parental organisation, they set up the means to calculate distances between kins in order to settle successions. In the mid 5th century before Christ, the Law of the Twelve Tables already think of:”the respective positions of the kins heirs of the deceased as relative distances”. The word gradus, when meaning degree measuring the distance between generations appears at the end of Republican Rome: at the age of Augustus, Ovid claims that the organisation of kinship through degrees is already widely used. Soon, treaties will be devoted to the theme of which remain, among other evidences, more or less complete, Those of Gaius (2nd century) and Paul (3rd century). It may be assumed that systematised assessments and presentation of kinship degrees are not just accompanied by endless lists of various kinship positions as in Paul's treaty or the Digeste and later on Isidore's Etymologies (7th century); inserted into those, synthetic tables (as later referred to the word stemmata) where each kinship position in relation to the deceased occupies one cell. This is where the earthly and heavenly severance intervenes that appeared during the ceremonies of land surveying and augurium (official divination and interpretation of the wills of the Gods). This severance is taken up by the description of kinship degrees in Paul's treaty that makes it possible to reconstitute the approach according to which such a table could be set. There is first a distinction between right and left, then up and down (or in front of or behind ego). The kinship projection in a two-dimensional space led to a classification of paternal collateral relatives on the upper right corner of the table. Fortunately, such an organisation has been transmitted through a late edited stemma (end of the 9th century) of the Lex Romana Visigothorum, a compilation of legal texts also called The Breviary of Alaric (Breviarum Alaricianum). This stemma bears witness of the Ancient Roman Civil Law which states that the in manu wives, in other words under the authority of their husbands, became his agnates like the direct descents living in the same household and 'remained in his hand', the sui. With descendants of their own onto the 6th degree, sons, daughters and wives compose the three colons that support for the architrave of the building. In its upper part, the stemma takes an asymmetrical shape leaving the upper left quarter of the table empty since, there remains, only the collateral male lineage to the 6th degree. As the number of possible positions for the collaterals decreases, according to the distance between the common elder and Ego, the table in this upper part invokes a right angle triangle of which the external boxes or degrees represent a stairway. The word scala is indeed used by the jurists. Pilasters, architraves and the staircase degrees: thus, not only a spatial but also architectural representation become obvious with this type of stemma. It is similar to the arts from the Memories of the Ancient Past when the rethoricians, according to their imagination, organized inside buildings and in appropriate order, objects and characters, or facts and notions that they had to memorize.
During the Middle-Ages, the Roman conceptions of kinship and its significant translation with patterns, were transmitted through various channels, first and foremost where the specialists in civil procedures integrated ancient law treaties.

To provide meaning to kinship metaphorical language, it's absurd to think of translating the stemmata of the atrium into 'genealogical tree', as for the translating of law treaties. For the stemmata, the structure of the tree is never raised by their contemporaries. The Roman lawyers do not resort to the arbor (Latin for tree) when designing their patterns. There are numerous references to the plant kingdom in the medieval Latin vocabulary of kinship but mostly partial and literary. Branch or twig, offspring, stump and stem form the vocabulary of that time to describe the metaphorical component parts of a collective genealogy; but before jurists, poets, orators and historians seize upon them. The principal concept that provides patrician stemmata their visual unity is based on a streaming flow from the ancestors onto the last male descents: flow of strips, uniting the names and images, metaphor for the flow of blood or sap of a great body. Save for some exceptions, the image does not provide the global construction of a human body or a tree, but it gives a general expressive idea of those vital things flowing that transmit life and identity. In so far as the metaphor for blood represents an agnatic line kinship, consanguineus provides evidence of the jurists state of mind prior to the abstract establishment of the kinship degrees gradus. The succession law patterns were meant to exhaustively cover kinship area limited by the 6th degree, whereas the stemmata in the houses were necessarily selective as they represented male and female ancestors when they occupied a high ranked judiciary function. C. Klapish-Zuber

L'ombre des ancêtres 2 – Un autre héritage de Rome, la manière de se représenter la parenté en termes de mesures, était l'oeuvre des juristes. Se fondant sur une vision spatiale de l'ordre parental, ceux-ci mettaient en place les moyens de calculer les distances entre parents de manière à régler les successions au plus juste. Au milieu du 5ème siècle avant Jésus-Christ, la loi des Douze Tables pense déjà « les positions respectives des parents héritiers du défunt en distances relatives ». Le terme gradus, dans le sens de degré mesurant cette distance entre générations, apparaît vers la fin de l'époque républicaine : à l'époque d'Auguste, Ovide atteste que l'organisation de la parenté par degrés est alors largement utilisé. Bientôt des traités seront consacrés au sujet, dont subsistent, entre autres, et plus ou moins complets, ceux de Gaius (2ème siècle) et de Paul (3ème siècle). On peut supposer que les, présentations systématisées des degrés de parenté ne sont pas seulement accompagnées de listes interminables des différentes positions de parenté comme en contiennent le Traité de Paul ou le Digeste, puis les Etymologies d'Isidore de Séville au 7ème siècle ; on y a également insérés des tableaux synthétiques (que l'on désignera plus tard du terme stemmata) où chaque position de parenté par rapport au défunt occupe une case. C'est ici qu'interviennent les techniques du découpage céleste ou terrestre qui étaient suivies pendant les opérations d'auguration (Action de prendre les augures) et d'arpentage. Elles sont reprises par la description des degrés de parenté dans le traité de Paul qui permet de reconstituer la démarche par laquelle se construisait un tel tableau. Distinguant d'abord entre droite et gauche, puis entre haut et bas (ou devant et derrière Ego), la projection de la parenté dans un espace à deux dimensions conduisait à classer les collatéraux patrilatéraux dans le quart supérieur droit du tableau. Une telle organisation nous a été heureusement transmise par un stemma d'une édition tardive (fin du 9ème siècle) de la Lex Romana Visigothorum, compilation de textes juridiques aussi appelée Bréviaire d'Alaric. Ce stemma témoigne d'un état ancien du droit civil romain, où les épouses in manu, c'est à dire placées sous l'autorité de leur mari, devenaient agnates de celui-ci à l'instar des descendants directs vivant sous son toit et restés dans sa main, les sui. Avec leurs propres descendants jusqu'au sixième degré, les fils, les filles et les épouses constituent les trois colonnes soutenant l'architrave de cet édifice. Dans sa partie supérieure, le stemma prend une forme dissymétrique et laisse vide le quart supérieur gauche parce qu'il ne contient que les ascendants mâles directs et les seuls collatéraux de la ligne masculine jusqu'au sixième degré. Comme le nombre de positions possibles pour les collatéraux se réduit à mesure que l'aïeul commun est éloigné d'Ego, la figure offre dans cette partie supérieure l'image d'un triangle droit dont les cases ou degrés extérieurs forment comme un escalier. Le terme scala revient en effet sous la plume des juristes. Pilastres, architraves, degrés d'un escalier : une représentation non seulement spatiale mais proprement architecturale s'impose, en somme, avec ce type de stemma. Elle n'est pas sans évoquer ces arts de la mémoire antiques qui proposaient aux apprentis rhéteurs de situer par l'imagination, à l'intérieur d'édifices et dans l'ordre approprié , les objets et les personnages, ou les faits et les notions qu'ils devaient mémoriser.
Les conceptions romaines de la parenté et la traduction de la mesure de celle-ci par des schémas se sont transmises au Moyen-Age en suivant des canaux variés, au premier rang desquels les civilistes qui ont intégré la substance des traités de juristes antiques.
Pour donner un sens au langage métaphorique de la parenté, il est absolument abusif de traduire par « arbre généalogique » les stemmata de l'atrium, et plus encore ceux des traités de droit. Pour ce qui est des premiers, la structure d'arbre n'est jamais évoquée par les contemporains ; quant aux seconds, les juristes romains ne recourent pas davantage au terme arbor pour désigner leurs schémas. Les références au règne végétal sont pourtant bien présentes dans le vocabulaire latin de la parenté ; mais elles sont toutes partielles et littéraires. Branche ou rameau, rejeton et surgeon, souche et tronc sont utilisés pour désigner métaphoriquement les parties constituantes d'une généalogie. Mais ce sont les poètes, les orateurs, les historiens qui s'en emparent, non pas encore les juristes. Le principe même qui confère aux stemmata patriciens leur unité visuelle repose sur l'idée d'un flux coulant depuis les ancêtres jusqu'aux derniers descendants mâles : flot de bandelettes unissant les noms ou les images, qui est aussi métaphore des flux de sang ou de sève irriguant un grand corps. Sauf exception, l'image ne suffit pas à construire la figure globale d'un corps humain ou d'un arbre, mais elle évoque de façon expressive la circulation de ces choses vitales qui transmettent la vie et l'identité. Dans la mesure où la métaphore du sang sert à spécifier un degré de la parenté agnatique, consanguineus témoigne de l'état de la pensée juridique antérieur à l'élaboration abstraite des gradus. Les schémas du droit successoral se proposaient de couvrir exhaustivement l'aire de parenté limitée par le sixième degré, alors que les stemmata des maisons étaient nécessairement sélectifs, puisqu'ils représentaient ancêtres paternels et maternels dans la mesure où ceux-ci avaient occupé une haute magistrature. C. Klapish-Zuber
 

8/11/2015

Atalarının gölgesi - akış süresi - nesilden nesile - akrabalık zaman serileri - hareketsiz boşluk - aile şeceresi

Shadows of ancestors – The flow from generation to generation, as the soul of genealogy was often thought as a measure of time; through it, the Middle Ages also found the mean of understanding the motion and drift of time. Yet, it did not only stick to describe with words the time series or the kinship ties with their perceptible flow of the years; it has projected those in a two-dimensional space. For is it possible to think of time and not spatialise it? As in many other cultures, the medieval clerics had to face the problem of organising in a real space – wall, papyrus scroll or parchment, codex sheet – the partition of individuals in genealogies trickled down the generations,. Another problem was to suggest the set of reciprocal relationships in order to make the temporariness that gather them all perceptible. For the medieval clerics, deep political and intellectual thresholds interfered with and clouded the transmission of the perception of continuity; thus the legacy of Rome can be guessed more than measured. The treatment of how the Ancients conceived the projection of time in space is the option selected as to its forms – ritual, symbolic, intellectual. Indeed their ways of orientation in space, the method of dividing and articulate space underlie their representations of time. Also words, concepts and values that tied recurrent ideas will be examined in the perspective of this imaginary world in which medieval artists and thinkers drew their inspiration.
The projection of genealogical time in space has built upon, in Latin civilisation, not only in comparison to the past but also upon techniques of dividing space in this specific culture. The real genealogies and the theorising of kinship ties valid under law linked to very concrete social practices have been translated in images that had been, at one moment or another of their history, designated by stemmata. The patrician families' atria (sing. Atrium) of Rome were conservatories for the family glories. One could see, against the walls, armaria wooden boxes, often shaped like small temples, topped with a tympanum and protected by doors. Each sheltered a portrait of a deceased that held a curule office. During ceremonies, cabinets were opened and these imagines were crowned, these portraits of ancestors were the same as those worn during the funerals of gens members; they were extracted from the private family home. Parents or friends, later appointed histrions, marched in the funeral procession where they publicly mimic the deceased ancestors after they put on the waxed masks and the cloths corresponding to the highest positions filled by their prestigious ancestors. Atria walls of the patrician dwelling vestibule were also decorated with other figures that bear a mystery; through texts we know that the wall surface of the atrium carried what the Romans called stemmata. The plural of the Greek word stemma that meant strips, interlacing or crown was the decoration of an ancestor image and constituted the key element to Roman genealogies; deriving from this meaning it became the genealogical chart and the noble heritage to a family. The stemmata images were also painted on the atrium or the fresco hallway walls. These portraits linked to each other with ribbons or lines, or organized in series marked by binder scores could have represented the shape of an autonomous genealogy. Is the representation of Roman genealogies closer to a network of lines running between portraits or connected to names or name lists? In the atrium's stemmata, the ancestor founder of the family specificity, the princeps nobilitatis, was certainly placed at the highest level. The whole organisation ranged his descents under him as it allowed a further lateral grouping. The link ribbons between names or images also ought to reach back the wife's ancestors who, through the alliance brought her forebears wax and thus introduced their name and their painted images in her husband's ancestors cluster. The patrician atrium genealogy connected the symbols of the deceased and established the path of various kinships; giving a position to the relatives by marriage and to the cognates. Rome did not have any other genealogical memory than that of images, this very political memory was necessarily selective or fictional.
Thus, the Roman aristocracy stemmata were made of two fundamental elements: the manes of the ancestors (or the portraits) linked to each other by supple lines of which the tangle, with no doubt often confusing, was organised top-down form a distant ancestor to more recent generations. The Middle Ages gathered theses antique traditions echoes.


L'ombre des ancêtres – La succession des générations qui est l'âme de la généalogie a souvent été prise pour une mesure du temps; le Moyen-Age y a vu lui aussi le moyen de saisir le glissement du temps. Mais il ne s'en est pas tenu à dire par des mots la série chronologique ou les liens de filiation par où le passage des années devenait sensible ; il les a projetés dans un espace à deux dimensions. Car peut-on penser le temps sans le spatialiser ? Comme bien d'autres cultures, les clercs médiévaux ont dû affronter le problème d'organiser dans un espace réel – mur, rouleau de papyrus ou de parchemin, feuille de codex – les positions d'individus particuliers égrenées au fil des générations, suggérer leurs relations réciproques afin de rendre perceptible la temporalité qui les englobe. De profondes césures politiques et intellectuelles ont brouillé la transmission et obscurci chez les clercs médiévaux la perception de la continuité ; aussi l'héritage qu'ils ont reçu de Rome se devine-t-il plutôt qu'il ne se laisse mesurer. La manière dont les Anciens concevaient la projection du temps dans l'espace sera retenue, ainsi que les formes – rituelles, symboliques, intellectuelles – qu'ils lui ont données. C'est qu'en effet leurs manières de s'orienter dans l'espace, de le découper et de l'articuler sous-tendent leurs représentations du temps. Des mots aussi, des concepts et des valeurs, que reliaient des associations d'idées récurrentes, seront examinés dans un imaginaire où les penseurs et artistes médiévaux iront puiser.
La projection du temps généalogique dans l'espace s'est appuyée, dans la civilisation latine, non seulement sur un rapport au passé spécifique, mais sur des techniques de découpage de l'espace propres à cette culture. Les généalogies réelles, mais aussi la théorisation des liens de parenté valables en droit, également liées à des pratiques sociales très concrètes , ont été traduites par des images qu'à un moment ou à un autre de leur longue histoire on a désignées par stemmata. Les atria des familles patriciennes de Rome faisaient office de conservatoire des gloires familiales. On y voyait, installés contre les murs, des armaria ou casiers de bois, souvent en forme de petits temples, coiffés d'un tympan et fermés par des portes. Ils contenaient chacun le portrait d'un défunt ayant exercé par le passé une fonction curule. Au cours des fêtes, on ouvrait les armoires et on ornait ces imagines d'une couronne, ces portraits d'ancêtres étaient les masques mêmes portés à l'occasion des funérailles d'un membre de la gens ; on les extrayait alors du dépôt familial et de la demeure privée. Des parent ou des amis, plus tard des histrions appointés, défilaient dans le cortège funèbre où ils représentaient publiquement les ancêtres du défunt après avoir revêtu ces masques de cire et les vêtements correspondant aux plus hautes charges occupés par ces aïeux. Les murs des atria ou du vestibule de la demeure patricienne s'ornaient d'autres figures qui gardent un certain mystère ; c'est par des textes que nous savons comment la surface des parois de l'atrium, comportaient ce que les Romains appelaient justement les stemmata. Ce pluriel du mot grec stemma, qui signifiait la bandelette, l'entrelacs ou la couronne qui décorait l'image d'un ancêtre, constituait aussi l'élément clef des généalogies romaines ; par dérivation il en vint à désigner le tableau généalogique et la noblesse d'une famille. Il semble que les images des stemmata aient été peintes sur les parois de l'atrium ou du vestibule à fresque. Ces portraits, reliés les uns aux autres par des lignes ou rubans, ou ordonnés eux-mêmes en séries que soulignaient des traits de liaison, auraient alors constitué la matière d'une représentation généalogique autonome. Doit-on se représenter la généalogie romaine comme un réseau de lignes courant entre les portraits, ou plutôt entre des noms ou des listes de noms ? Dans les stemmata de l'atrium, l'ancêtre fondateur de la distinction familiale, le princeps nobilitatis, était, semble-t-il, placé au plus haut. L'organisation générale étageait probablement au-dessous de lui ses descendants et autorisait un développement latéral. Les rubans de liaison entre noms ou images devaient aussi permettre de remonter aux ancêtres des épouses qui, à leur mariage, apportaient les cires de leur aïeux et introduisaient sans doute leurs noms ou leurs images peintes dans la série des ancêtres de leurs maris. La généalogie d'un atrium patricien reliait entre eux les symboles d'individus défunts et établissait le parcours par lequel étaient passées les différentes filiations ; en donnant une place à des affins et des cognats remarquables introduits par les alliances. Rome ne connaissait pas d'autre mémoire généalogique que celle des images, et cette mémoire, toute politique était nécessairement sélective voire 'fictive'.
Ainsi les stemmata de l'aristocratie romaine se composaient de deux éléments fondamentaux : les noms des ancêtres (ou les portraits) reliés entre eux par des lignes souples dont l'écheveau, sans doute assez embrouillé, s'organisait de haut en bas depuis un ancêtre éloigné jusqu'aux générations plus récentes. Le Moyen-Age a pu recueillir les échos de ces traditions antiques.