The three Nganasan
groups (Avam Nganasans, Taimyr Nganasans, Vadeev Nganasans) organize their
annual festival towards the end of the polar night at the end of January. This
is a large-scale ritual which may last up to nine consecutive days. During the festival young bachelors dance and
wrestle on a frozen lake near which the shaman in charge of the ritual
officiates in a purpose-built ceremonial hut. On the first day he goes to the
“pure” hut (into which the souls of the dead can not enter) holding an iron
cane and with a band over his eyes. These are exactly the artefacts which a
Samoyed shaman uses for his journey to the world of the dead. Moreover the
direction in which the Nganasan shaman moves on this occasion suggests that he
is symbolically leaving the world of the dead. On the following days he
continues his journey to the south and will have to undergo various trials
prescribed by the spirits, for example finding hidden ritual thongs. In the
Nganasan religious system illnesses are attributed either to the shadows of the
dead (the namtərüˀ) or to impersonal halves of men (the barus’i), who are also
associated with the dead. The barus’i are considered as woman-stealers and play
a fundamental role in female shamanism.
Whereas the shadow of a dead man steals the shadow of a living one whose
place it takes, the half-man steals the living man’s vitality, as symbolized by
his breath. In this case, the cure
consists in going to the world of the dead to bring back the breath of the sick
man. There the shaman of the living confronts his dead father during a festival
comparable to that of the pure hut organized by the living. Are the barus’i then the helpers of the
shaman of the dead, the breaths of the deceased? Certain myths develop further
the way relations between the living and the dead are conceived of ; they
make clear that the recently deceased may be revived, but that it is impossible
to resuscitate a dead man already incorporated into the society of the
dead. They indicate that the shaman of
the living can never take for wife a dead woman. They show that an exchange
system underlies Nganasan shamanism.
Other myths associate the barus’i with the living. These have a barus’i fleeing
through a finger-cut. (According to one version, this half-man even becomes the
divinity protecting the Nganasans from the “Russian God”.) This recalls a
particularity of left-hand shamanic gloves, which have only three fingers,
perhaps so that the shamans might release their breath of life—like the
recently deceased who are supposed to have their fingers cut off when entering
the world of the dead. Moreover the
Nenets divinity of the dead and of illness too is sometimes represented as a
half-man. All of which leads to a conjecture concerning this syncretic figure
of the Nenets pantheon. The dead are not the only spirits who devour the
living, the
ogre, who should be considered as an antisocial character recalling the epic
hero by their common greediness. Not very clever, the ogre is opposed to D’ajkü,
the little Nganasan trickster, whose story is recounted in a cycle of ten
episodes. The adventures of the trickster are analyzed with respect to the
European tales from which they derive, and also considering the Nganasan
context where their meaning is completely transformed. The complexity and
originality of this cycle stem from the appearance of a second trickster whom
D’ajku imitates, which sheds a new light on Nganasan shamanism.
C’est au sortir de
la nuit polaire, fin janvier, que les trois groupes nganassanes
(Nganassanes avames, Nganassanes de Taïmyr, Nganassanes vadéiefs) organisent leur fête annuelle, rite de grande ampleur durant jusqu’à neuf jours d’affilée. Au cours de celui-ci, les jeunes célibataires dansent et luttent sur un lac gelé près duquel a été dressée une hutte cérémonielle où officie le chamane en charge du rituel. Le premier jour, il se rend à la hutte « pure » — construction où ne peuvent pénétrer les âmes des morts —, un bandeau sur les yeux et une canne en fer à la main. Or, ces objets sont précisément ceux qu’utilise le chamane samoyède pour son voyage chez les défunts. De plus, la direction du déplacement du chamane en ce premier jour de fête suggère qu’il sort symboliquement du monde des morts. Les jours suivants, il continuera son périple vers le sud et devra réussir diverses épreuves imposées par les esprits, comme de retrouver des lanières rituelles dissimulées. Dans le système religieux nganassane, les maladies sont imputées soit aux ombres des morts (namtərüˀ ), soit à des moitiés d’homme impersonnelles (barus’i), elles aussi associées aux morts. Ces barus’i sont par ailleurs considérés comme des preneurs de femmes et jouent un rôle fondamental dans le chamanisme féminin. Si l’ombre du mort vole l’ombre du vivant dont elle prend la place, la moitié d’homme dérobe, elle, la vitalité symbolisée par le souffle. En ce cas, la cure consiste à aller reprendre le souffle du malade dans le monde des défunts ; là, le chamane des vivants affronte son père mort, au cours d’une fête comparable à celle de la hutte pure organisée par les vivants. Les barus’i seraient-ils donc les auxiliaires du chamane des morts, les souffles des défunts ? Des mythes développent la conception des relations entre vivants et morts ; ils précisent que les défunts récents peuvent être ranimés mais qu’il est impossible de ramener à la vie un mort ayant intégré la société des défunts. Ils indiquent que le chamane des vivants ne peut en aucun cas prendre une épouse chez les défunts. Ils mettent en évidence que le chamanisme nganassane est sous-tendu par un système d’échange. D’autres mythes associent barus’i et vivants. Ils montrent un barus’i s’échappant par une coupure au doigt. (Selon une version, cette moitié d’homme protectrice devient même la divinité qui défend les Nganassanes contre le « Dieu russe ».) Ceci évoque la particularité des gants chamaniques gauches, qui n’ont que trois doigts, peut-être pour que les chamanes puissent libérer leur souffle vital – comme le font les défunts dont les doigts seraient sectionnés en arrivant dans le monde des morts. Par ailleurs, la divinité nénètse des morts et de la maladie est, elle aussi, parfois représentée sous forme de moitié d’homme. Tout ceci conduit à élaborer une hypothèse sur cette figure syncrétique du panthéon nénètse. Les morts ne sont pas les seuls esprits à dévorer les vivants. Ce chapitre étudie le personnage de l’ogre, qui est à considérer comme un être asocial à relier au héros épique, lui aussi trop avide. Peu malin, l’ogre est opposé à D’ajkü, le petit décepteur nganassane, dont est présenté le cycle de dix séquences. Les aventures du trompeur sont analysées en fonction, d’une part, des contes européens dont elles s’inspirent et, d’autre part, du contexte nganassane où elles prennent un tout autre sens. La complexité et l’originalité de ce cycle sont causées par l’apparition d’un second décepteur que D’ajkü imite, ce qui autorise un nouveau regard sur le chamanisme nganassane. Jean-Luc Lamber, Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 33-34 | 2003, 343-396.
(Nganassanes avames, Nganassanes de Taïmyr, Nganassanes vadéiefs) organisent leur fête annuelle, rite de grande ampleur durant jusqu’à neuf jours d’affilée. Au cours de celui-ci, les jeunes célibataires dansent et luttent sur un lac gelé près duquel a été dressée une hutte cérémonielle où officie le chamane en charge du rituel. Le premier jour, il se rend à la hutte « pure » — construction où ne peuvent pénétrer les âmes des morts —, un bandeau sur les yeux et une canne en fer à la main. Or, ces objets sont précisément ceux qu’utilise le chamane samoyède pour son voyage chez les défunts. De plus, la direction du déplacement du chamane en ce premier jour de fête suggère qu’il sort symboliquement du monde des morts. Les jours suivants, il continuera son périple vers le sud et devra réussir diverses épreuves imposées par les esprits, comme de retrouver des lanières rituelles dissimulées. Dans le système religieux nganassane, les maladies sont imputées soit aux ombres des morts (namtərüˀ ), soit à des moitiés d’homme impersonnelles (barus’i), elles aussi associées aux morts. Ces barus’i sont par ailleurs considérés comme des preneurs de femmes et jouent un rôle fondamental dans le chamanisme féminin. Si l’ombre du mort vole l’ombre du vivant dont elle prend la place, la moitié d’homme dérobe, elle, la vitalité symbolisée par le souffle. En ce cas, la cure consiste à aller reprendre le souffle du malade dans le monde des défunts ; là, le chamane des vivants affronte son père mort, au cours d’une fête comparable à celle de la hutte pure organisée par les vivants. Les barus’i seraient-ils donc les auxiliaires du chamane des morts, les souffles des défunts ? Des mythes développent la conception des relations entre vivants et morts ; ils précisent que les défunts récents peuvent être ranimés mais qu’il est impossible de ramener à la vie un mort ayant intégré la société des défunts. Ils indiquent que le chamane des vivants ne peut en aucun cas prendre une épouse chez les défunts. Ils mettent en évidence que le chamanisme nganassane est sous-tendu par un système d’échange. D’autres mythes associent barus’i et vivants. Ils montrent un barus’i s’échappant par une coupure au doigt. (Selon une version, cette moitié d’homme protectrice devient même la divinité qui défend les Nganassanes contre le « Dieu russe ».) Ceci évoque la particularité des gants chamaniques gauches, qui n’ont que trois doigts, peut-être pour que les chamanes puissent libérer leur souffle vital – comme le font les défunts dont les doigts seraient sectionnés en arrivant dans le monde des morts. Par ailleurs, la divinité nénètse des morts et de la maladie est, elle aussi, parfois représentée sous forme de moitié d’homme. Tout ceci conduit à élaborer une hypothèse sur cette figure syncrétique du panthéon nénètse. Les morts ne sont pas les seuls esprits à dévorer les vivants. Ce chapitre étudie le personnage de l’ogre, qui est à considérer comme un être asocial à relier au héros épique, lui aussi trop avide. Peu malin, l’ogre est opposé à D’ajkü, le petit décepteur nganassane, dont est présenté le cycle de dix séquences. Les aventures du trompeur sont analysées en fonction, d’une part, des contes européens dont elles s’inspirent et, d’autre part, du contexte nganassane où elles prennent un tout autre sens. La complexité et l’originalité de ce cycle sont causées par l’apparition d’un second décepteur que D’ajkü imite, ce qui autorise un nouveau regard sur le chamanisme nganassane. Jean-Luc Lamber, Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 33-34 | 2003, 343-396.
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