Gortyne Law Table 480 BC. |
The Territorial Inscription of
Laws
The notion of space, in legal
terminology, is not some Cartesian abstraction, which may be applied to any
sort of place. Until recently the term was used exclusively to refer to parts
of the world which cannot be occupied on a lasting basis because they have no
perceptible limits and are unfit for human life. Such are the seas and the
oceans, the skies and interstellar space. In law, the Earth is not conceived as
an abstract space but rather as a mesh of territories, domains (public or
private), regions or countries, jurisdictions and sometimes sites or zones
(subject to overriding clauses). Significantly, it was only with the advent of
globalisation that the notion of space began to be used to refer to the earth and
not only the skies or the seas.
Inhabiting the world: the
institution of territories Just as all cosmogonies show the birth of the
Heavens and the Earth from the cosmic Ocean, so they all affirm the earthly
substance of the human being. Adam, the first man in the religions of the Book,
derives his name from the red earth (adama) from which God fashioned him. Man’s
name comes from the Latin humus (damp earth): man (homo) is the one who comes
from the earth and is destined to return to it (to be inhumed). Although born
of the earth, man is endowed with a divine spirit which entitles him to take
possession of it, to fashion it in his image and to make it fruitful by his
labour. This second aspect – the “taking of land”, taking possession by labour
or force – has been dominant in the modern Western world, at the cost of
repressing how man belongs to the land. This lop-sided vision, whose religious
origins we can only surmise, sees nothing but the imprint of man on the earth
and remains blind to the imprint of the earth on man. In the legal sphere, a
person’s connection to the land continues to inform decisions on two
fundamental issues: the determination of his or her identity and the laws which
he or she must observe. The question of identity arises in matters of personal
status. Connection to a territory plays a role here through what is today
called nationality law. “Nationality” is related etymologically to “being
born”, and it situates each of us, as from birth, at the juncture of a territory
and a lineage. Conse- quently nationality law combines considerations of the
place of birth (jus soli) with that of the nationality of the parents (jus
sanguinis) in different pro- portions depending on the country, to which should
be added the possibil- ity of acquiring one or more other nationalities later
and hence having adoptive homelands. Nationality, which is an element of
identity in the legal sense, is the source of personal status, that is, of a
non-negotiable set of rights and duties towards the State or States of which
one is a national.
In Europe, the invasion and
dislocation of the Roman Empire led to populations living to- gether while
obeying different laws. The new barbarian masters followed their various
customs while the descendants of the subjects of the Empire (and the Church)
remained subject to a largely adulterated version of “Roman law”. In this
system, which lasted from the fifth to the eleventh century, each person lived
by the law of his origins, that is, of his ethnic group. This principle, which
was called the personality of laws, was undermined by the mingling of
populations and the rise of feudalism, which led to the same local or regional
customs, the same law of the place (lex loci), being applied to all the
inhabitants of the same seigniory. This is how the principle of the
territoriality of laws gained currency, and its progress accompanied that of
the Nation State. Alain Supiot
L’inscription territoriale des
lois
Dans le vocabulaire juridique,
la notion d’espace n’était pas jusqu’à une date récente une abstraction cartésienne,
susceptible de s’appliquer à toute espèce de lieu. Son emploi était réservé aux
parties du monde qui, n’ayant pas de limites discernables et étant impropres à
la vie humaine, ne peuvent être durablement occupées: les mers et les océans,
les airs et l’univers interstellaire. La Terre. Cette dernière n’était pas
appréhendée par le Droit comme un espace abstrait, mais comme un entrelacs de
territoires, de domaines (public ou privés), de régions ou de pays, de
ressorts, parfois de sites ou de zones (soumises à des règles dérogatoires). Fait
significatif: c’est seulement dans le contexte de la création d’une
‘globalisation des marchés’ que la notion d’espace a commencé d’être employée
pour désigner la terre et non pas seulement le ciel ou les océans.
Habiter le monde: l’institution
des territoires
De même que toutes les
cosmogonies font naître le Ciel et la Terre de l’Océan cosmique, de même elles
s’accordent sur la substance terrienne de l’être humain. Adam, le premier homme
des religions du Livre, tire son nom de la terre rouge (adama) avec laquelle
Dieu le façonna et le nom de l’homme lui-même vient du latin humus (terre
humide): l’homme c’est celui qui vient de la terre, et qui
est destiné à y retourner, à y être inhumé. Né de la terre, il est toutefois
animé d’un esprit divin, qui l’autorise à prendre possession d’elle, à la
modeler à son image et à la féconder par son labeur. C’est ce second versant –
celui de la «prise de terre», de sa prise de possession par le travail ou par
les armes – qui a largement dominé l’Occident moderne, au prix d’un refoulement
de l’appartenance de l’homme à la terre. Cette vision borgne, dont on peut
conjecturer l’origine religieuse, n’aperçoit que l’empreinte de l’homme sur la
terre et demeure aveugle à l’empreinte de la terre sur les hommes. Dans l’ordre
juridique, le rattachement de l’homme à la terre continue de se manifester dans
le règlement de deux questions fondamentales: celle de son identité, et celle
de la détermination des lois qu’il doit observer. La question de l’identité
concerne l’état des personnes et le rattachement territorial s’y trouve à
l’œuvre dans ce que l’on appelle aujourd’hui le droit de la nationalité. Le mot
vient du verbe «naître», et la nationalité situe chacun de nous, dès la
naissance, à l’intersection d’un territoire et d’une filiation. Le droit de la
nationalité combine en effet, dans des proportions qui varient selon les pays,
la considération du lieu de naissance (jus soli) et celle de la nationalité des
parents (jus sanguinis), à quoi il faut ajouter la possibilité d’acquérir
ultérieurement une ou plusieurs autres nationalités et d’avoir ainsi des terres
d’adoption. Élément de l’identité, au sens juridique du mot, la nationalité est
la source d’un statut personnel, c’est-à-dire d’un ensemble non négociable de
droits et de devoirs vis-à-vis de l’État ou des États dont on est ressortissant.
L’invasion et la dislocation de
l’Empire romain avaient conduit à la cohabitation en Europe de populations qui
relevaient de lois différentes. Les nouveaux maîtres barbares étaient régis par
leurs coutumes respectives, tandis que les descendants des sujets de l’Empire
(et l’Église) demeuraient soumis à une «loi romaine» plus ou moins dégradée.
Dans ce système, qui perdura du Ve au XIe siècle, chacun vit sous sa loi
d’origine, c’est-à-dire celle de son ethnie. Ce principe, dit de la
personnalité des lois, s’éroda du fait du brassage des populations et de
l’essor de la féodalité, qui conduisit à imposer les mêmes coutumes locales ou
régionales, la même loi du territoire (lex loci), à tous les habitants d’une
même seigneurie. S’affirma ainsi le principe dit de la territorialité des lois,
dont l’essor accompagna celui des États nations. Alain Supiot.
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