The “spirit
of geometry,” as Pascal would have it, insists that disciplinary classification
amounts to the erecting of barriers beyond which one risks losing one’s soul.
And readers who have no particular desire to wander like lost souls may well
see little more in this collection of texts than the sum of their differences.
Indeed, whereas anthropology has consistently argued for the existence of a
double continuity, both within the sphere of artistic activity—allowing for
geographical variation—and between this sphere and the rest of human social
activity (i.e., “culture” in its wider sense), art history has since the
eighteenth century endeavored to grasp the specificity of artistic creation
against the changing backdrop of time, as well as vis-à-vis the internal rules
of development of an increasingly autonomous (in terms of tradition, innovation,
and “best practice”) “art world.” These disciplinary practices are like
habits that we adopt despite ourselves: the habit of gathering scattered data
into an “ontology” (Philippe Descola), of comparative methodology, of examining
the ways in which human specificity is rooted in “nature”—understood as the
totality of living existence. For anthropologists, this means measuring
“changes in the pace of temporality” (Jean-Claude Schmitt), apprehending the
“malleable or plastic body” (Recht), and understanding both the variability of
taste and the “metamorphosis” of artworks. For art historians, one might say
once they have accounted for the turbulence provoked by the encounter of
different practices and lines of reasoning, these habits constitute a return to
a new state of equilibrium. The beating
heart of art history interrogates and challenges anthropology. Systole: why do
ancient works of art still touch us? How is it that works of art produced
in—and deriving their meaning from—particular cultural contexts still resonate
in other contexts? Is it not the case that one can only begin to grapple with
the “symbolic form” at the heart of another culture’s worldview when one fully
understands the equivalent form in one’s own culture? As early as 1927,
Panofsky claimed that, “it is essential to ask of artistic periods and regions
not only whether they have perspective, but also which perspective they have.” Diastole: how can what was a specific “mental fact”—a work of art born of
a given culture—be brought back to life in another land, even if we grant the
idea of a sensory-motor humus common to all
humanity? How can it be transplanted onto a necessarily “hybrid” (Ruth Philips)
network of translations that tie together knowledge of society and knowledge of
the laws of development of artistic language? Might this network of
translations not constitute a new sort of museum that, just as Sally Price
argues it should, ventures even further down the path exploredby a new generation of ethnographic museums, which includes the Musée du
Quai Branly?
Art historians and
anthropologists no longer want a “mask stripped bare by its curators.” Just as
a mask cannot be understood without a(s complete as possible a) reengagement
with the entirety of its links and connections to the society that created it
(its dances, its rites and myths, its “environment”—which it is the museum’s
task to “translate”), so a painting cannot be reduced to “a set of colors
assembled in a certain order”—the definition is Maurice Denis’—and is only
comprehensible when placed in the context of the militant demands for autonomy
that emanate from some currents in modern art. At the Armory Show in 1913,
Theodore Roosevelt mocked Duchamp’s Nude Descending a Staircaseby
comparing it to a Navajo blanket, convinced that in so doing he was “de-arting”
them both. But despite what Roosevelt may have thought, a nude is never just a nude, but rather this or that nude in this or that particular society, and in any case it
was not even a mimetic representation of a nude, just as a Navajo blanket or a
mask are not just commodities. The following texts are argument enough: art
historians and anthropologists have well and truly cast aside the myth of
original nudity.
L’« esprit de géométrie », pour parler comme Pascal,
voudrait que tout classement des disciplines revienne à ériger des barrières
au-delà desquelles on s’expose à perdre son âme. Un lecteur qui n’aura pas
vocation à être une telle âme errante pourra ne voir dans ces écrits rassemblés
que leurs différences. En effet, si l’anthropologie insiste sur une double
continuité, celle de l’activité artistique – bien entendu variable selon les
aires géographiques – et celle de cette activité par rapport au reste du
comportement humain en société (ce qu’on appelle la « culture » au sens large), l’histoire de
l’art s’est attachée depuis le xviiie siècle à mieux
comprendre ce qu’avait de spécifique la création d’œuvres d’art en réponse à
des contextes changeants dans le temps mais aussi à des règles de développement
internes à un « monde de l’art » de plus en plus autonome
(rapport à la tradition, innovation, « règles de l’art »). De ces tendances
disciplinaires, qui sont comme des plis que l’on prend sans le vouloir, à
rassembler l’épars dans une « ontologie » (Philippe Descola), à pratiquer le comparatisme, à
chercher ce qui ancre la spécificité humaine dans la nature prise comme l’ensemble
des manifestations du vivant – pour l’anthropologue, à mesurer les «changements
de temporalité » (Jean-Claude
Schmitt), à appréhender le « corps plastique » (Recht) et à comprendre les
variations du goût et la « métamorphose » des œuvres – pour l’historien,
on peut dire qu’elles sont comme un retour à un nouvel état d’équilibre, une
fois enregistrées les oscillations du contact des raisonnements et des
pratiques. Le cœur battant de l’histoire de l’art questionne le
fait anthropologique. Systole : pourquoi les œuvres d’art anciennes nous touchent-elles
toujours ? Pourquoi les œuvres des autres peuples, qui prennent tout leur
sens dans un contexte donné, sont-elles exportables vers d’autres sensibilités ? N’est-ce que lorsqu'on comprend bien ce qu’est une « forme symbolique » dans sa propre culture, qu’on peut tenter d’en
apprivoiser une autre qui est au cœur de la « vision du monde » d’une autre culture ? Panofsky affirmait dès 1927 qu’« une question va prendre, pour les diverses régions
de l’art et ses différentes époques, une signification essentielle, la question
de savoir, non seulement si les unes et les autres ont une perspective, mais
encore quelle perspective elles ont ». Diastole : comment ce qui fut un « fait de mentalité » spécifique – une œuvre née dans une culture
donnée – peut-il être revivifié dans un autre terreau, fût-ce à partir d’un humus sensori-moteur commun à l’humanité ? Comment peut-il être greffé sur un réseau
nécessairement « hybride » (Ruth Phillips) de traductions articulant savoir sur la
société et savoir sur les lois de développement du langage artistique ? Ce réseau de traductions ne constituerait-il pas
un musée d’un nouveau genre qui poursuivrait plus loin encore, comme l’appelle
de ses vœux Sally Price, l’expérience récente d’une nouvelle génération de
musées ethnographiques à laquelle appartient le musée du quai Branly ?
Historiens de
l’art et anthropologues ne veulent plus du « masque déshabillé par ses conservateurs mêmes ». Pas davantage qu’un masque ne peut se
comprendre en dehors d’un réinvestissement – le plus complet possible – de
l’ensemble de son articulation à la vie de la société qui l’a créé (ses danses,
ses rites et ses mythes, son « environnement » – qu’il revient au musée de « traduire »), un tableau ne se réduit à « un ensemble de couleurs en un certain ordre
assemblé » – définition donnée par Maurice Denis et compréhensible
seulement dans un contexte de revendication militante de l’autonomie par un
certain courant de l’art moderne. Théodore Roosevelt ne s’était-il pas moqué à
l’Armory Show en 1913 du Nu descendant l’escalier de
Duchamp en le comparant à une couverture navajo, convaincu de les confondre
tous deux dans le même de-arting ? Mais contrairement à ce que pensait l’ancien
président des États-Unis, un nu n’est jamais seulement un nu,
mais cenu
dans cettesociété donnée, et d’ailleurs, ce n’était alors même pas la
représentation mimétique d’un nu, de même qu’une couverture navajo ou un masque
ne sont pas de simples commodities. Les textes que l’on va lire nous en convainquent : historiens de l’art et anthropologues ont bel et
bien abandonné le mythe de la nudité originelle.
Thierry Dufrêne et Anne-Christine Taylor, « En guise d’introduction », in Thierry Dufrêne et Anne-Christine Taylor (dir.), Cannibalismes disciplinaires, Paris, coédition INHA et musée du quai Branly (« Actes de colloques »), 2009.
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