Death
and the concept of the individual
Outside our culture, few societies
believe that an individual is either totally alive or totally dead. In many
cases, one believes the existence of a kind of "intermediary" state
characterized by very long mourning rituals punctuated by stages expected to
attest that death is a slow and progressive process. The image of the deceased
during his death is expected to set out on a journey like the representation of
the course of his life. What we call death becomes thus simply one of the
episodes of a long story that started much before and fatally will continue a
long time afterwards. Perhaps Buddhist
and Hindu doctrine of karma most clearly expresses the idea of continuity. In
its view, human life is only the reward or punishment of past lives. The most
interesting in this concept is that life and death are entirely in line with
this unique process. During Tibetan Buddhist funerals, the symbols of the
gradually abandoned body show that for these religions, death concept has to be
progressive. Western ideology views dying as occurring within seconds even if
we know since recent legal and medical controversy how arbitrary the idea can
be. Indeed, it would not be too mystical
to believe, as so many others on this planet, that the process that
leads to what we call death, can start very early in life, perhaps with birth
or even before. For many societies birth, growing up, dying, being lowered into
the ground and, much later, placed in the family mausoleum are episodes of the
same sequence. Not only this vision seems accurate to those that have been
raised in this tradition, but it also corresponds better to the development of
physiological process that the legal frame of European vision claim about
ageing and its procession of physiological and psychological degradation as
having nothing to do with death itself. This assertion calls for the conclusion
that euthanasia is a crime, certainly a logical deduction in our cultural
system, that justice and judges in courts yet refuse to entirely accept. However,
we need only to look at someone dying of ageing to understand that the precise
moment we call "death" is not so important. Spiritual possession also
can contribute to an understanding of that distinction between alive and dead
which is not always so evident. During spiritualism sessions, people see and
hear a part of what we call a dead person, namely the spirit. In order to make
possible this empirical expression of 'life' of the dead person, the spirit
must blend with someone else's body, in this situation with the medium. In such
cases, in this regard very widespread, the death of the individual is not conceived
as the end of earthly activity.
What
is the role of emotions in conceptualizing death ? One knows emotions are at
the center of the entire analysis of death status in all various cultures. However,
while we keep this idea, it does not mean that emotions caused by death develop
the same way in different cultures. If the difference between death and life is
conceived on such distinct manners in various cultural system, it very unlikely
that what occurs during the death must be felt the same way. Indeed, our "punctual"
concept of death does not facilitate our understanding of other cultures. And
it is not solely a translation problem. It is also our understanding of our own
culture that is at stake, events unfold as if we could not consider things in
other terms that "all or nothing". This attitude is not only due to
the way we understand body growth, decay and regeneration of the human being; it
is about something much more fundamental, namely our concept of the person as
an individual well "bounded" (defined). Because to understand death necessarily
means to understand the concept of the individual in a specific culture. To us
(Westerners) people are distinct entities clearly defined one apart from the
other, each of which forming a unity able to transcend all other divisions
(groups). Indeed, we know these definite
entities consist of flesh and blood, body and spirit. But to us, these internal
elements of the body are bound together on a much more factual basis than the individuals
can be within their society. From our point of view, people bound together
through 'social, emotional, moral relations' that are much less accurate, real,
than those that bound the different parts of the human body. Why be surprised
then that our concept of separation of the various elements of the human body
is synonym of end ? Such a point of view creates the indivisibility of the
individual, thus producing a unique border, extremely thick, between life and
death. On the on hand we are an individual with all the different parts well
bounded together, on the other hand when those part are separated, it means
there is no life anymore, in other words we are dead. There is no intermediate
state, and, beliefs from other cultures that consider death as one stage in a
dialectical process of transformation, are unthinkable for us. Maurice Bloch.
La mort et
la conception de la personne
Il y a peu de cultures en dehors de
la nôtre où l'on croit qu'un être humain est soit totalement vivant, soit
totalement mort. Dans bien des cas, on croit à l'existence d'une sorte d'état
« intermédiaire ». Celui-ci peut être marqué par des rituels
funéraires très longs, jalonnés d'étapes censées correspondre à un moment
précis de la transformation. On retrouve aussi une façon d'affirmer que la mort
est un processus lent et progressif dans l'image, assez répandue, selon
laquelle le défunt au cours de sa mort est censé accomplir un voyage à l'instar
du cours de la vie, lui aussi, souvent représenté comme un voyage. Ce que nous appelons mort devient
alors simplement un des épisodes d'une longue histoire qui a commencé bien
avant et qui est vouée à se poursuivre longtemps après. C'est peut-être la
doctrine bouddhiste et hindouiste du karma qui exprime cette idée de continuité
avec le plus de clarté. Selon elle, la vie d'un être humain n'est que la
récompense ou le châtiment de ses vies antérieures. Ce qu'il y a de
particulièrement intéressant, ici, c'est que la vie et la mort s'intègrent
totalement dans un processus unique. Les symboles utilisés dans les funérailles
bouddhistes tibétaines, où le corps est abandonné petit à petit, montrent bien
que, dans ces religions, le concept de mort est progressif. L'idéologie
occidentale, qui considère la mort comme survenant en un instant, même si nous
savons, depuis de récentes controverses légales et médicales, à quel point
cette idée est arbitraire. Et, en effet, il n'y aurait rien de particulièrement
mystique à croire, avec beaucoup d'habitants de cette planète, que le processus
qui mène à ce que nous appelons la mort peut commencer très tôt dans la vie,
peut-être à la naissance, voire même encore avant. Dans beaucoup de sociétés naître,
grandir, mourir, être porté en terre et, bien longtemps après, être placé dans
le tombeau familial ne sont alors que de simples épisodes d'une même séquence. Non seulement cette vision des choses
paraît exacte à ceux qui ont été élevés dans une telle tradition, tout comme
nous paraît correct notre propre point de vue, mais elle correspond mieux au
déroulement des processus physiologiques que la vision légale des sociétés
européennes, qui soutiennent que le vieillissement, avec tout son cortège de
dégradations physiologiques et psychologiques, n'a rien à voir avec la mort
elle-même. Une affirmation qui amène à la conclusion que l'euthanasie est un
meurtre, déduction certes logique dans notre système culturel, mais que les
tribunaux eux-mêmes refusent d'accepter totalement. Pourtant, il suffit de voir
quelqu'un mourir de vieillesse pour comprendre que le moment précis que nous
appelons « mort » n'est pas si important. La possession spirituelle,
elle aussi, peut nous aider à comprendre que la distinction entre mort et
vivant ne soit pas toujours si claire. Pendant les séances de spiritisme, les
vivants voient et entendent une partie de ce que nous appelons un mort, à savoir
son esprit. Pour que cette manifestation empirique de la « vie » du
mort soit possible, il faut que son esprit s'allie avec le corps d'une autre
personne, en l'occurrence celui du médium. Dans de tels cas, d'ailleurs fort
répandus, la mort d'un membre de la société n'est pas comprise comme la fin de
son activité terrestre.
Quel est le rôle de l'émotion dans la conceptualisation de la
mort ? On sait que l'émotion est au centre de toute analyse du statut de
la mort dans les différentes cultures. Pourtant, même si on l'a longtemps
pensé, cela ne veut pas dire que les émotions provoquées par la mort se
déclenchent de la même façon d'une culture à l'autre. Si la différence entre la
mort et la vie est comprise de façon si dissemblable d'un système à l'autre, il
est très peu vraisemblable que ce qui se produit à l'occasion d'un décès doive
être éprouvé de la même façon. Certes, notre conception
« ponctuelle » de la mort ne facilite pas notre compréhension des
autres cultures. Et il ne s'agit pas seulement d'un problème de traduction.
C'est aussi la compréhension de notre propre culture qui est en jeu, car tout
se passe comme si nous n'étions pas en mesure d'envisager les choses en
d'autres termes que « tout ou rien ». Cette attitude n'est pas
seulement due à la façon dont nous comprenons les processus de croissance, de
dégradation et de régénérescence de l'être humain ; il s'agit de quelque
chose de plus fondamental, à savoir de notre conception de la personne comme
d'un individu bien « délimité ». Car comprendre la mort signifie
nécessairement comprendre le concept de personne dans une culture donnée. Pour
nous, les personnes sont des entités bien distinctes, clairement délimitées les
unes par rapport aux autres, formant chacune une unité seule capable de
transcender toutes les autres divisions. Certes, nous savons que ces entités
délimitées sont elles-mêmes constituées d'éléments aussi différents que la
chair et le sang, ou le corps et l'esprit. Mais, pour nous, ces éléments
« internes » sont reliés de façon beaucoup plus réelle et intime que
ne le sont, entre eux, « différents » individus. De notre point de
vue, ces derniers ne sont reliés que par des relations
« sociales », « émotionnelles » ou « morales »,
c'est-à-dire par des relations infiniment moins réelles que celles qui unissent
les différentes parties de l'individu. Comment s'étonner alors que, dans notre
conception, la séparation des différents éléments qui composent l'individu soit
synonyme de fin ? C'est qu'un tel point de vue insiste sur
l'indivisibilité de l'individu, créant ainsi une frontière unique, extrêmement
étanche, entre la vie et la mort. Soit on est un individu dont toutes les
parties sont réunies, soit elles sont séparées, ce qui, dans notre système,
signifie ne plus avoir d'existence, ou, en d'autres termes, être mort. Il ne
peut pas y avoir d'état intermédiaire et des croyances comme celles dont j'ai
parlé, qui font de la mort une simple étape dans un processus dialectique de
transformation, sont impensables chez nous. Maurice Bloch.
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