A critic of « scientific » militarism - Gabriel Tarde
(1843-1904) analyzes the tie that binds the ideologies of his time (social
Darwinism, class and race struggles) with bellicose policies. Against this
noxious combination he sets the pacifying movement of International Law, which
wavers between the constitution of a world federation and the advent of an
empire. Militarist speech can only be refuted by the emergence
of global political unity. The critique of G. Tarde relates to the dynamic
function granted to life in communities as a challenge expressed in terms of
'history', 'progress', 'civilization' and sometimes 'development'. Indeed class struggle, revolution or
competition are all watchwords that set social strife up as condition of
progress. The irreducible antagonism of interests is accepted by both parties
and this assumption induces a combine reduction: on one hand, socialists and
economists consider social life from the standpoint of desires and interests
abandoning associated beliefs and convictions; on the other hand, they develop
adversarial relationships to the detriment of successful collaborations that occur
during work and inventions. The one difference is situated in the featured
issue for this struggle; while the first closely link progress to defeating the
enemy, the second don't name the conflict. Under the auspices of economists who
dominate theoretical debates in the middle of the century, competition as a
minimal form of conflict is tasked to civilize Nations. However, two essential
events will lead to a polarization of scientific reasoning and bring the war at
the center of the debate: Darwinism and the ugly war 1870. The combination of
both facts could not be hazardous for, based on the dissemination of Darwinism,
a vicious circle is now established that links scientific knowledge to
militaristic policy. Darwin's work gives a decisive impulse to this movement providing
war an anchorage in the general aspect of life. 'Struggle for life', 'selecting',
'competition' become conflicts through which species self-perpetuate and
continue to evolve. As a consequence the danger to human beings does not consist
of unnecessary belligerent actions but rather of passivity and neutrality that
life does not allow. Indeed Darwin know the fertility of life processes but his
reading on evolution neglects the priority of their rightful place: his mistake
seems to be an exaggeration and misuse of vital competition, biological form of
opposition, to the detriment of cross-breeding and hybridity, biological forms
of adaptation and harmony. Species and vital bodies struggle proves to be secondary
because the forces that manifest here arise from strategic alliances and
developed relationships. Furthermore, the primacy Darwin gives to war and vital
competition is not surprising since this idea comes straight from economy. The
entire Manchester school inspired him on the magic of vital or industrial
competition. The analogy between society and body allows this expansion in the
direction of sociology. In that sense social Darwinism legitimately and
logically extends its biological side. And the description of the social body,
directly inspired by military groups and army, can only ensure nationalism and militarism.
By personifying society, sociologists construct a different person than the
individuals that constitute it, instead of considering a complex of dynamic
relationships.
The laws determine a static order, a space organized with limits and borders,
that forbid dynamic antagonism, encroachment. Legal knowledge becomes a privileged
instrument for building peace. From the
order of the principles onto the harshness of the deductions, law represents
here its superiority inscribed in logic. By rationally constructing agreement
and consensus it switches to silence the arms. For jurists any conflict is an
illusion because individual rights define enclosed, clearly marked spaces,
which coexist but can't confront. The Court does not recognize winners, it
refuses the binary logic of confronting. Its decision only means the privilege
of an effective right on an illegitimate claim. Thus, war is over by shortage
of combatants. Gauthier Autin
Gabriel Tarde, critique du militarisme
« scientifique » - Gabriel Tarde (1843-1904) analyse le
lien étroit qui associe les idéologies de son temps (darwinisme social, lutte
des classes et des races) à la politique belliciste des États. À cette alliance
néfaste, il oppose le mouvement pacificateur du droit international qui oscille
entre la constitution d’une fédération mondiale et l’avènement d’un Empire. Le
discours militariste ne peut être réfuté que par l’émergence d’une nouvelle
unité politique globale. La critique de G. Tarde concerne donc la fonction motrice
accordée au phénomène dans la vie des sociétés, enjeu qui se dit en termes
« d’histoire », de « progrès », de
« civilisation » voire de « développement ». En effet, la
lutte des classes, la révolution ou la concurrence sont autant de mots d’ordre
qui érigent la guerre sociale en condition du progrès. L’antagonisme
irréductible des intérêts est admis par les deux parties à titre de fait et ce
postulat induit une double réduction : d’une part, les socialistes et les
économistes n’envisagent la vie sociale que sous l’angle étroit des désirs et
des intérêts en délaissant les croyances, les convictions qui s’y associent ;
d’autre part, ils ne conçoivent que des rapports d’opposition au détriment des
collaborations fructueuses qui s’opèrent dans le travail et les inventions.
Leur seule différence réside dans l’issue envisagée pour ce combat ; là où
les premiers associent le progrès à la défaite de l’ennemi, les seconds
n’attribuent pas de terme au conflit. Sous l’égide des économistes qui dominent
la scène théorique au milieu du siècle, la concurrence, cette forme minimale du
conflit, se voit confier la tâche de civiliser les nations. Toutefois, deux
évènements vont conduire à un durcissement du discours scientifique et ramener
la guerre au centre des débats : le darwinisme puis l’odieuse guerre de
1870. La conjonction de ces deux faits n’a rien de hasardeux car c’est ici, à
partir de la large diffusion du darwinisme, que va s’instaurer véritablement ce
cercle vicieux qui lie le savoir scientifique à la politique militariste. L’œuvre
de Darwin fournit en effet une impulsion décisive à ce mouvement en donnant à
la guerre un ancrage dans la sphère vitale. « La lutte pour la vie »,
« la sélection », « la concurrence » sont autant de
conflits par lesquels l’espèce se perpétue et évolue. Dès lors, le danger
encouru par l’individu ne réside pas dans une activité belliqueuse inutile et
superflue mais dans une passivité et une neutralité que la vie ne permet pas. Certes,
Darwin n’ignore pas la fécondité des processus vitaux mais sa lecture de
l’évolution méconnait la priorité qui leur revient de droit : son erreur semble
avoir été d’appuyer beaucoup plus sur la concurrence vitale, forme biologique
de l’opposition, que sur le croisement et l’hybridité, formes biologiques de
l’adaptation et de l’harmonie. La lutte des espèces et des organismes s’avère
nécessairement seconde car les forces qui s’y manifestent résultent d’abord
d’alliances stratégiques, de sympathies nouées. Pour autant, le primat que
Darwin accorde à la guerre et à la concurrence vitale n’a rien d’étonnant
puisque cette idée lui vient tout droit de l’économie. Toute l’école de
Manchester lui a inspiré la vertu magique attribuée à la concurrence soit
vitale, soit industrielle. L’analogie entre société et organisme autorise cette
expansion dans la direction de la sociologie. En ce sens le darwinisme social
prolonge légitimement et logiquement son versant biologique. Et cette
description du corps social, directement inspirée des groupes militaires et de
l’armée, ne peut qu’assurer le triomphe du nationalisme et du militarisme. En
personnifiant la société, les sociologues en font un être distinct des individus
qui la constituent, au lieu de l’envisager comme un complexe de rapports
dynamiques.
Les lois définissent en effet un ordre statique, un espace organisé par des
limites et des bornes qui interdisent tout antagonisme dynamique, tout empiètement.
Le savoir juridique se fait l’instrument privilégié de la paix. De
l’ordre des principes jusqu’à la rigueur des déductions, le droit manifeste ici
sa supériorité dans le registre de la logique. C’est en construisant
rationnellement l’accord, le consensus qu’il fait taire les armes. Pour le
juriste, tout conflit repose sur une illusion car les droits individuels
définissent des espaces clos, délimités, qui coexistent mais ne peuvent
s’affronter. Le tribunal ne reconnait donc pas de vainqueur, il refuse la
logique binaire de la confrontation. Sa décision manifeste simplement le
privilège d’un droit réel sur une prétention illégitime. La guerre s’achève
ainsi, faute de combattants. Gauthier Autin http://mots.revues.org/16022#tocto1n3
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