This study deals with the
re-reading of the writings — mosly poetry — attributed to the 11th century
famous Sufi Ahmad Yasavi by the intellectuals, politicians and journalists of
the present Central Asian Republics of the former SSSR. There is first a
presentation of Ahmad Yasavi's writings who have left an imprint in both
popular and literary spheres of Central Asia, including the Volga area and
Eastern Turkestan. My opinion is that since the 11th century, Ahmad Yasavi
became a myth in Central Asia because of the lack of reliable documents about
his real thinking. For that reason, the interpretation of his thought by the
Muslims — both enlightened and conservatists — by the Marxist and by the
present intellectuals and politicians of the new Republics has led to variative
and contradictory interpretations. This paper attempts to analyse these
interpretations in relation with Central Asian culture and society and to
explain how Ahmad Yasavi's writings inspired the Muslim modernists (jadid) of
the 19th-20th centuries who have depicted him as a nationalist, proletarian and
socialist poet, and why during the SSSR, after the assassination by Stalin of
the last jadid, he was on the contrary, considered as a feodalist, a bourgeois
and an apostle of the reactionary dogma, in a sense a « cursed saint ». The
last part of this article focuses in a contemporary period and analyses how
Ahmad Yasavi's myth has been interpreted since 1991, in relation with the process
of shaping the new identity of the Central Asia and the re-building of Islam.
As a result of the contemporary re-reading, one can notice that Ahmad Yasavi is
becoming the model of the perfect Central Asian citizen. In brief, exaggerated
mysticism has been evacuated and only nationalistic and religiously open-minded
dispositions of Ahmad Yasavi have been welcomed in order to fit to the new
social and religious conditions of the new Central Asian society. But in
several cases interpretation means distortion.Since around 1991, Ahmad Yasavi’s rehabilitation is undertaken on several levels ; first in Baku, during a meeting of culture ministers of the Turkic Republic of Central Asia, the year 1993 had been declared « Yasavi’s Year » followed by international seminars, although scientific, nevertheless were great rituals of recuperation of this Turkish mystic poet. This recuperation concerns all the new republics of Central Asia, Uzbekistan, Kazakhstan, Turkmenistan, Kirghizistan, the republic of Tatarstan of the Russian Federation.
This myth can be understood on several levels and can serve interests of different ideologies sometimes diametrically opposed. Similar event occured in Turkey, during 19th and 20th century, with the sufi poet Yunus Emre who shared vieuws with Ahmad Yasavi, who was depicted as a Nationalist and a Humanist without recognizing his spiritual work. Thierry Zarcone
Ahmad Yasavï héros des nouvelles républiques
centrasiatiques.
Cette contribution concerne la
relecture des écrits, pour la plupart poétiques, attribués au célèbre soufi du
XIe siècle, Ahmad Yasavi, par les intellectuels, les hommes politiques et les
journalistes des républiques actuelles d'Asie centrale ex-soviétique. Il s'agit
d'abord de présenter les écrits d'Ahmad Yasavï et de préciser qu'ils ont laissé
une marque notable dans les milieux lettrés et littéraires de l'ensemble de
l'Asie centrale, y compris dans les régions de la Volga et du Turkestan
oriental. Depuis le XIe siècle, en effet, Ahmad Yasavi fait figure de mythe en
Asie centrale : aucun document ne permet de rendre compte de ses idées. Pour
cette raison, l'interprétation de sa pensée par les musulmans, éclairés comme
conservateurs, ainsi que par les marxistes et, aujourd'hui, par les
intellectuels et les hommes politiques des nouvelles républiques, a conduit à
des exposés variés et contradictoires. Cette étude se propose d'analyser les
différentes interprétations du personnage en relation avec la culture et la
société centrasiatique. On verra en particulier comment les écrits d'Ahmad
Yasavi inspirèrent les modernistes musulmans (jadid) des XIXe et XXe siècles
qui l'ont décrit comme un poète nationaliste, prolétaire et socialiste et on
verra pourquoi, du temps de l'URSS, après l'élimination par Staline des
derniers jadid, il fut considéré comme un féodal, un bourgeois et un apôtre de
la réaction, en sorte comme un « saint maudit ». La dernière partie de ce
travail se concentre sur la période contemporaine et montre comment le mythe
d'Ahmad Yasavï a été interprété depuis 1991, en relation avec le processus de
reconstruction identitaire en Asie centrale et avec le renouveau de l'islam.
Ahmad Yasavï est devenu le modèle du parfait citoyen d'Asie centrale. En bref,
le mysticisme a été éliminé et seuls les aspects « nationalistes » et tolérants
du soufi ont été retenus. L'objectif visé est de montrer que les idées d'Ahmad
Yasavï sont conformes aux conditions sociales et religieuses de la nouvelle
société centrasiatique. Mais, dans de nombreux cas, interprétation signifie
déformation. À partir de 1991 environ, la
réhabilitation d'Ahmad Yasavi s'effectue sur plusieurs plans ; d'abord en
décrétant, à Bakou en 1992, lors d'une réunion des ministres de la culture des
républiques turques, que l'année 1993 serait « l'année Yasavi », et en organisant
à cette occasion des colloques internationaux qui, quoique scientifiques, n'en
étaient pas moins de grands rituels de réappropriation du symbole que
représentait ce poète mystique turc. Cette réhabilitation d'Ahmad Yasavi
concerne toutes les nouvelles républiques centrasiatiques : Ouzbékistan,
Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan, et aussi la république du Tatarstan de
la Fédération de Russie.
Le mythe offre plusieurs niveaux
de lecture et peut servir les intérêts d'idéologies différentes, parfois même
diamétralement opposées. Un phénomène analogue s'est passé en Turquie, aux XIXe
- XXe siècles, avec le poète soufi Yunus Emre (XIIIe siècle) dont les idées
étaient très proches de celles d'Ahmad Yasavi, et dont on a fait un
nationaliste et un humaniste (Ocak, 1996c, p. 100-101), sans reconnaître
parfois qu'il était d'abord un mystique. Thierry Zarcone
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