Food,
songs and dance : the Kilvèj ritual
cooking
There
is an initial insight to recall or to crystallize the world order,
such that in this ideal orientation, its component elements are able
to position themselves in relation to each other. This stage work of
an ordered universe is articulated simultaneously with the
preparation of ritual food: the granting of differential ritual foods
and dishes gives to each one a specific role inscribed in the ritual
course. For this purpose, three different foods are prepared: a dish
of fat, a dish of sorrel and finally a dish of meat. The fat (èlègi)
is extracted from the reindeer bones crushed then boiled. First
obtained in liquid form, it is then mixed to snow and whipped in
butter: this is the form in which the fat will be provided to the
anthropomorphic representations of the protection spirits (gičgi).
The
sorrel in the form of a paste is intended for the reindeer. The
leaves are harvested during the fall, kept until spring, then boiled
and crushed. Finally, the meat as more robust dish will be served to
human beings. Unlike other ritual sequences, only the breasts of the
reindeer (mačvèlgyn)
- to
which the vocal apparatus is attached (neck, oesophagus, tongue,
lower jaw) – must be cooked during the Kilvèj;
Although
different in nature, these three dishes have a common feature: they
can be ritually consumed only
in
a well minced form called inèlvèt,
that always characterises the food offerings in such a setting.
The
distribution of food is intervening during the two central sequences
of the ritual that take place the second day shortly before noon, or
right in the middle of the
Kilvèj
temporal unfolding. In
the course of these two sequences people will come out of the tent
twice, in a single file in the direction corresponding with the
position of the sun. The first run everyone has a spoon filled with
fat, sorrel and meat, the purpose is to form small handles and throw
them on the skin roof of the tent and on the ground. The second run
is a little different: the participants, only women of the
organizational unit go to the back of the tent standing between the
herd of domestic reindeer gičgi
and
a bunch of willow tree branches: under
the leadership of the tent chief woman they
distribute
food in the three dishes named earlier to the respective recipients.
In that precise order they feed first the reindeer (sorrel), the
spirits embodiments (fat) and the humans (meat) who come through
behind the herd and must catch their share of food over the pile of
branches. These two essential highly ritualized sequences witness
partial identification of the humans to the reindeer who produce
throat sounds identical to those meant to lead the female reindeer
out of the corral. These imitative character throat sounds are
produced when throwing the offering of food in the spoon (inèlvèt)
during
the first out coming and a second time during the second sequence
when people try to reach the meat. At those specific moments, these
songs and imitations (aŋaŋzjak),
are
meant to mimic with the voice the words of an animal learnt on the
camp.
The
other important idea of the Kilvèj,
is that beyond the offering of food specified for certain recipients
giving them an ordered place in the temporal world, other actions are
able to ensure the circulation of a matter called uzizit
strength, heat, enclosed in every expression of life as well as in
the food being prepared. These actions are playful and can express
themselves in various ways during the two central ritual sequences of
the coming out of the tent: reindeer race, dance, songs and drum
music. Again
imitation becomes a central element of these performances, yet
different from the throat sounds of the earlier mentioned sequences:
the movements of the bodies are supposed to feature animal behaviour
highly striking for those who perform them. The song during these
games sequences is this time very human inclination in that it is an
individual melody without words (qulikul)
intoned
to the cadence of the drumming. The imitative character here has a
different meaning: it is not any more about an imitation of an animal
but rather an individual own melody or that of a family deceased of
whom the remembrance is accentuated by the song. This performance is
the same one as the
marking of the reindeer as it explicitly shows the belonging to a
specific unity background of which the individual musical
expressions, like the marks placed on all the reindeer of each herd
related to a specific group of humans, have identical tones.
Nourrir,
chanter, danser : la cuisine rituelle du Kilvèj
Une
première idée est de rappeler ou cristalliser l’ordre du monde,
de telle sorte que puisse s’exprimer l’orientation idéale de ses
composants les uns par rapport aux autres. Cette mise en scène d’un
univers ordonné est élaborée parallèlement à la préparation de
différents plats rituels: c’est l’octroi différencié d’un
type d’aliment particulier qui assigne à chacun sa place dans la
trame rituelle. Trois préparations culinaires sont réalisées dans
ce but : un plat de graisse, un autre d’oseille, et enfin un
dernier de viande. La graisse (èlègi) est
extraite
des os de renne concassés puis bouillis. D’abord obtenue sous
forme liquide, elle est ensuite mélangée à de la neige et battue
en beurre : c’est
sous cette forme solide que la graisse sera offerte aux figurations
anthropomorphes d’esprits protecteurs (gičgi).
L’oseille est destinée aux rennes, qui la consomment sous forme de
pâte. Les feuilles sont récoltées en automne, et conservées
jusqu’au printemps où elles sont cuites dans l’eau chaude puis
écrasées. Enfin, la viande constitue le plat de résistance qui
sera servi aux humains. À la différence d’autres événements
rituels, seules des poitrines de renne (mačvèlgyn) — auxquelles
est
encore attaché l’appareil vocal (cou, œsophage, langue,
maxillaire inférieur) — doivent être préparées lors
du kilvèj.
Bien que de nature différente, ces trois plats présentent un trait
commun : ils ne peuvent être consommés rituellement que sous
une forme émincée, appelée inèlvèt,
et qui caractérise toutes les offrandes de nourriture effectuées
dans un tel contexte.
La
distribution des aliments intervient dans les deux séquences
centrales du rite qui ont lieu le deuxième jour peu avant midi, soit
exactement au milieu de son déroulement temporel. Ces séquences
correspondent à deux sorties successives de toutes les personnes
présentes hors de la jaraŋa,
lors desquelles il est requis de réaliser un tour complet autour de
la tente, en file indienne et dans le sens du soleil. Durant la
première sortie, chacun dispose d’une large cuillère en bois dans
laquelle est disposé un peu de graisse, de viande et d’oseille
qu’il s’agit de lancer par petites poignées alternativement sur
la toiture en peaux de la tente et sur le sol. La seconde sortie est
quelque peu différente : les officiants principaux, qui sont
toujours les femmes de l’unité organisatrice, se placent à
l’arrière de la tente où se trouvent également les gičgi et
le troupeau de rennes domestiques constitué de substituts en
branches de saule. Debout entre la tente et les « rennes de
bois », les femmes distribuent sous la direction de la
maîtresse de tente les trois plats à leurs destinataires
respectifs. Dans l’ordre, elles nourrissent d’abord les rennes
(oseille) et les figurations d’esprits (graisse), puis les humains
qui défilent derrière le troupeau et doivent saisir la viande
par-dessus l’amas de branches. Ces deux séquences fondamentales et
hautement ritualisées sont marquées par l’identification
partielle des humains au renne : ces derniers produisent en
effet des sons de gorge identiques à ceux qu’ils réalisaient dans
le corral pour attirer les femelles vers la sortie. Ces sons de gorge
à caractère imitatif sont émis au moment de lancer
l’offrande (inèlvèt)contenue
dans les cuillères lors de la première sortie, puis une nouvelle
fois lors de la seconde sortie, au moment de saisir la viande. Dans
ces instants précis, il s’agit de « chanter » ou
d’« imiter » (aŋaŋzjak),
autrement dit de reproduire par la voix une parole animale apprise
dans les campements.
La
deuxième idée essentielle du kilvèj est
qu’au delà de l’offrande
d’une nourriture différenciée
selon les destinataires et signifiant
à chacun sa position dans le monde, d’autres actions sont en
mesure d’assurer la circulation d’une substance
nommée uzizit (« force »,
« chaleur »), contenue dans chaque manifestation du
vivant mais aussi dans les aliments en phase de préparation. Ces
actions sont d’ordre ludique et peuvent prendre plusieurs
expressions en marge des séquences centrales que constituent les
sorties : course de rennes, danse, chant et jeu de tambour.
L’imitation émerge à nouveau comme un élément central dans ces
performances, mais elle diffère
de la forme gutturale qui apparaissait lors des sorties : ce
sont les mouvements du corps dans les chorégraphies qui sont censés
reproduire des conduites animales particulièrement remarquables pour
celles et ceux qui les exécutent. Quant au chant produit lors de
telles séances de jeux, il est cette fois de nature proprement
humaine, en ce sens que ce sont les mélodies individuelles sans
parole (qulikul) qui
sont entonnées au rythme du tambour. Le caractère imitatif a dans
ce cas une autre portée : il ne s’agit plus de reproduire une
parole animale, mais sa mélodie propre ou celle d’un membre défunt
de la famille dont le souvenir est alors renforcé le temps d’un
chant. Cette performance est du même ordre que le marquage des
rennes puisqu’elle signale l’appartenance à une unité
domestique dont les expressions musicales individuelles présentent,
à l’instar des marques génériques greffées
sur son cheptel, des tonalités identiques.
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